Chaque semaine, des journalistes des Arts de La Presse nous font le récit d’une anecdote vécue lors de la couverture d’un évènement culturel. Le plus grand malaise qu’ils ont ressenti, le moment le plus stressant d’une affectation, le spectacle le plus amateur qu’ils ont vu, l’entrevue la plus pénible, etc. Voici leurs témoignages. Bonne lecture !

Après avoir enchaîné Dancer in the Dark, Dogville et Manderlay, Lars von Trier a souhaité revenir à un cinéma plus simple en proposant The Boss of It All, une comédie tournée en danois, au Danemark. À l’automne 2006, je me suis envolé vers Copenhague. Au programme : présentation du film en primeur mondiale au festival de cinéma tenu dans la capitale danoise, une visite du studio Zentropa et, surtout, un entretien en tête à tête d’au moins une heure avec le cinéaste dans son antre. Lars von Trier est agoraphobe. À Hvidovre, sur le terrain de la caserne militaire abandonnée, reconvertie en studio de cinéma dans les années 1990, le réalisateur d’Antichrist se déplace entre les unités dans une voiturette de golf dans laquelle ne peut surgir la moindre impression d’enfermement. Ses installations personnelles sont situées tout au bout du terrain, dans une petite maison qui lui tient lieu de bureau. Il travaille là, au milieu des livres, des objets, des équipements audiovisuels, des divers documents relatifs aux nombreux projets menés par Zentropa. C’est là que l’on a conduit le journaliste de La Presse – en voiturette, bien sûr – pour laisser ensuite le maître des lieux accueillir seul son invité. Premier constat : ce grand provocateur, que je me plais souvent à appeler le trublion danois, était aussi nerveux que moi. Très timide de nature, il s’est livré généreusement et n’avait plus rien de l’image de celui qui, pourtant, était réputé pour bouffer du scribe au déjeuner.

PHOTO ÉTIENNE CÔTÉ-PALUCK, ARCHIVES LA PRESSE

Dans cette photo datée de 2013, le président haïtien Michel Martelly avait échangé avec le boxeur montréalais Adonis Stevenson.

Trois ans après le tremblement de terre en Haïti, Air Transat a créé un forfait très intéressant pour découvrir la « Perle des Antilles », et j’avais été invitée au voyage de presse avec d’autres journalistes. Le but était de participer à la relance du tourisme dans ce pays qui peinait à se relever des décombres, et ce forfait a fini par être abandonné en raison de l’instabilité de la situation. Mais à ce moment-là, puisque j’avais vécu le séisme en 2010 et voyagé en Haïti pendant deux mois l’année d’après, j’étais encore sur le mode catastrophe, et pas vraiment glamour. Dans mes bagages, mes vêtements étaient plus adaptés à une zone de guerre qu’à une soirée cocktail, et je n’avais aucun bijou. Pourtant, j’aurais dû savoir qu’en Haïti, les gens sont fiers et tirés à quatre épingles. Et le tapis rouge avait été déroulé pour nous. On nous traînait dans les endroits les plus chics de Pétion-Ville à Port-au-Prince, de Cap-Haïtien et de la côte des Arcadins. Nous rencontrions des dignitaires, des ministres, et nous avons même eu une petite réunion privée avec le président Michel Martelly ! Et moi, pendant tout ce temps-là, je n’avais que des pantalons baggy, des souliers de course et des chemises à carreaux. Je n’ai jamais eu aussi honte et je m’en suis beaucoup voulu, si bien que maintenant, quand je vais en Haïti, j’apporte toujours des vêtements pour les grandes occasions.

PHOTO PASCAL GUYOT, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

À l’hiver 1992, notre journaliste s’est rendu à Paris interviewer les auteurs et acteurs Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri. On les voit sur cette photo en mai 2004, au Festival de Cannes.

En février 1992, j’étais en voyage de presse en France pour interviewer Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri. Le couple d’auteurs et d’acteurs venait de créer la comédie à succès Cuisine & dépendances, qui allait être présentée à Montréal cet hiver-là. Un chauffeur de la production venait me conduire au théâtre en banlieue de Paris, où la pièce était présentée un soir seulement. On m’avait donné une adresse, place de la Bastille, pour rejoindre mon « lift » en après-midi. J’ai sonné à la porte et… Jean-Pierre Bacri en personne m’a ouvert en pieds de bas ! J’allais donc faire le trajet en voiture jusqu’à Saint-Germain-en-Laye avec les deux comédiens, et rentrer avec eux après le spectacle. Au retour, Bacri m’a demandé si j’étais libre pour les accompagner dans un resto de l’île Saint-Louis, « l’un des rares restaurants qui ferment tard en semaine à Paris », et où le couple rejoignait un ami de la distribution, Jean-Pierre Darroussin. Euh… OUI, absolument ! Je n’ai jamais été aussi libre ! On a parlé de Cuisine & dépendances, dont le thème est la fascination aveugle qu’exerce la célébrité et l’argent, mais aussi de Molière (Don Juan était l’une des œuvres préférées de Bacri), de Tchekhov, de Victor Hugo, de Patrice Chéreau ; car le génial metteur en scène avait enseigné à Agnès Jaoui. Vers 1 h du matin, j’ai salué les artistes pour regagner à pied mon hôtel. La nuit de février était douce. La lune était presque pleine au-dessus de la Seine. Et l’île Saint-Louis, totalement déserte. Je me souviens m’être dit que j’exerçais le plus beau métier du monde !

PHOTO MARIO ANZUONI, ARCHIVES REUTERS

Chadwick Boseman, disparu en 2020, signe des autographes à la première du film Avengers : Infinity War, en 2018.

Pour promouvoir ses films, Hollywood organise des rencontres de presse communément appelées junkets. En gros, les studios invitent des journalistes (ou du moins des représentants des médias) de partout dans le monde à grands frais dans un hôtel afin qu’ils puissent rencontrer les artisans d’un film et en faire des articles (ou du moins du contenu). C’est ainsi que je me suis retrouvée dans un chic hôtel de Beverly Hills, en avril 2018, pour la conférence de presse du film Avengers : Infinity War, qui réunit un tas de superhéros de l’univers cinématographique Marvel. La brochette d’acteurs réunis devant moi était franchement impressionnante pour l’ancienne adolescente que je suis qui regardait frénétiquement autant Access Hollywood que Siskel and Ebert. Il y avait donc Robert Downey Jr. (Iron Man), Chris Hemsworth, (Thor), Mark Ruffalo (Hulk), Scarlett Johansson (Black Widow), Chadwick Boseman (Black Panther), Chris Pratt (Star-Lord), Benedict Cumberbatch (Doctor Strange), Tom Holland (Spider-Man), Paul Bettany (Vision), Zoe Saldana (Gamora), Don Cheadle (War Machine) et Elizabeth Olsen (Scarlet Witch). Et qui animait la discussion ? Nul autre que Jeff Goldblum ! Si c’était hautement glamour, ce l’était beaucoup moins quand les blogueurs et influenceurs qui ont eu droit d’aller au micro ont posé les questions les plus insignifiantes aux acteurs et actrices – habituellement inaccessibles – qui étaient devant eux. Quel malaise, mais surtout, quel gâchis ! Mais je pourrai dire un jour à mes enfants, quand le 125film de Marvel sortira, que j’ai vu en chair et en os un tas de superhéros.