Vedette depuis les années 50, Hajja Hamadaouia est une miraculée de la chanson marocaine. À bientôt 80 ans, la dame revient à Montréal au Festival du monde arabe.

Hajja Hamdaouia est un monument de la chanson marocaine. Sa carrière s'étire sur plus d'un demi-siècle. Vedette depuis les années 50, elle fut une des premières femmes à élever la chanson «aïta» au rang d'art. Quant à son destin tumultueux, il pourrait faire l'objet d'une télésérie...

 

Imaginez. Elle a connu la colonisation, puis l'indépendance. Elle a vécu l'exil à Paris. Elle fut riche et adulée. Puis elle a sombré dans l'anonymat et la pauvreté, avant que le roi du Maroc ne la sorte du trou.

Ressuscitée, comme ont pu l'être les membres du Buena Vista Social Club, la dame de 78 ans profite depuis quelques années d'un second souffle. Et ce second souffle l'amènera au théâtre Olympia, samedi prochain, dans le cadre du Festival du monde arabe.

Sa venue est un événement. Son dernier passage à Montréal date de l'Expo 67. Elle avait été invitée par le pavillon du Maroc et avait serré la pince d'Élisabeth II. «À l'époque, il n'y avait pas beaucoup de Marocains chez vous», lance la Diva, jointe dans sa ville natale de Casablanca.

Les temps ont bien changé. Quarante ans plus tard, la communauté marocaine de Montréal a explosé. Et notre petit doigt nous dit que la salle sera bien pleine pour ce concert, considérant que cette légende de la chanson maghrébine ne risque pas de revenir au Québec de sitôt...

Des aïta et des bas...

Hajja Hamdaouia est probablement la plus célèbre ambassadrice du «aïta», chanson traditionnelle de la région de Casablanca. À ses débuts, dans les années 50, ce style langoureux était considéré peu fréquentable. On l'associait à l'érotisme, à la sexualité. Sans surprise, il était surtout réservé aux hommes. Les femmes «légères» qui le chantaient - et le dansaient - étaient mal perçues.

Hajja Hamdaouia a changé la donne. En fusionnant le aïta et le chââbi (autre folklore marocain), elle a créé une nouvelle sorte de pop marocaine. Ses concerts sobres, présentés chaque samedi soir à la télé marocaine, ont achevé de réhabiliter le genre. «Il ne faut pas voir le aïta comme quelque chose d'immoral, explique la chanteuse. C'est un patrimoine qu'il faut préserver. En ce qui me concerne, je n'ai jamais joué sur l'érotisme et la sexualité. Mes chansons parlaient surtout d'amour.» D'amour... et de politique. Au milieu des années 50, la chanteuse écrit une chanson pour dénoncer l'ingérence du colonisateur français, qui vient de déposer le roi Mohammed V en faveur du vieux Ben Arafa. Son geste «spontané», comme elle le dit elle-même, la force à vivre clandestinement dans son propre pays, avant de s'exiler en France.

Elle minimise aujourd'hui les événements. «Je suis aussi partie à Paris pour retrouver l'homme que j'aimais», dit-elle. Son séjour de quelques années en Europe lui permettra d'élargir son auditoire, en se faisant aussi connaître de la diaspora algérienne.

Le mal du pays la ramène au Maroc, après l'indépendance. Elle continue de prospérer dans la chanson, enregistrant pour les plus grandes maisons de disques du temps. Selon ce qu'on rapporte, elle multiplie aussi les fêtes mémorables, arrosées d'alcool.

Comme l'Égyptienne Oum Kalsoum, avec qui elle partage quelques points communs, on en sait peu sur sa vie privée. Ses amours restent secrètes. Mais elle adoptera 10 enfants, avant de s'effacer lentement du paysage.

Les années 80 et 90 seront pour elle un long calvaire. Tombée dans l'anonymat, elle échoue dans une chambre de bonne où elle vit de quelques contrats et de la charité de ses voisins. «C'était très difficile. Mais toute expérience est une bonne expérience», souligne-t-elle, philosophe.

Ressuscitée

C'est le roi Mohammed VI qui, apprenant sa condition, l'extirpera de la dèche. Alors qu'on la croyait morte, elle retrouve finalement son aura. Désormais, la chanteuse n'est plus seulement une vedette, elle est une légende.

Aujourd'hui, Hajja Hamdaouia est considérée comme un joyau du patrimoine marocain. Son état de santé - alarmant il y a encore quelques semaines - a d'ailleurs semé l'émoi dans la nation et provoqué un énorme boom médiatique.

«C'était un épuisement professionnel, raconte la dame. J'en étais à mon 43e spectacle en un an. Il a fallu m'hospitaliser pendant un mois et demi.» Allah soit loué, elle va beaucoup mieux. Quand on lui demande comment elle vit ses (presque) 80 ans, elle répond n'en avoir que 28! Son producteur, qui traduit la conversation, nous apprend que sur ces mots, la dame s'est levée de sa chaise pour chanter et esquisser quelques pas de danse.

Plus de doute: la diva de Casablanca est revenue à la vie.

Hajja Hamdaouia, le 1er novembre à l'Olympia (1004, rue Sainte-Catherine Est).