L'anecdote survenue la semaine dernière est révélatrice: un Ontarien fait la manchette parce qu'il se bat pour que sa banque cesse d'envoyer les données de sa carte de crédit être traitées aux États-Unis.

L'anecdote survenue la semaine dernière est révélatrice: un Ontarien fait la manchette parce qu'il se bat pour que sa banque cesse d'envoyer les données de sa carte de crédit être traitées aux États-Unis.

Sur un forum, des internautes discutent de l'histoire. L'un d'eux écrit un commentaire pour le moins surprenant: l'homme qui craint que sa vie privée soit mal protégée par sa banque est né à tel endroit, a deux enfants, voici le nom de sa femme, son numéro de téléphone, l'adresse de courriel où on peut le joindre, etc, etc.

Puis il conclut, lapidaire: si monsieur veut sa vie privée, il n'a qu'à cesser de naviguer sur Internet.

L'idée selon laquelle la Toile n'est plus qu'un vaste réseau sur lequel la vie privée de nul n'est protégée est largement répandue. Mais est-elle fondée?

Professeur de droit d'Internet à l'Université de Montréal, Pierre Trudel croit que cette vision est alarmiste. Il déplore le discours qui veut que le seul fait de naviguer sur Internet soit dangereux.

«Il y a des risques sur Internet comme il y en a à se promener sur la rue. Il faut juste prendre les précautions requises, dit-il. Si on se promène sur la rue en affichant son numéro d'assurance sociale, on prend des risques importants. C'est la même chose si on le fait sur Internet. Les risques ne sont pas pires que ceux qu'on a à gérer dans d'autres environnements d'information.»

Cette vision est partagée par Alain Mercier, expert en sécurité informatique au Centre de recherche informatique de Montréal (CRIM).

«Les gens entrent parfois leurs informations personnelles sur le Web, mais personne ne les y a forcé, dit-il. C'est comme aller sur la rue et crier son numéro d'assurance sociale et son numéro de carte de crédit à tout le monde. C'est toi qui décide de le faire.»

Pour Jacques Saint-Amant, juriste chez Option Consommateurs, la solution passe notamment par l'éducation. Car, dit-il, naviguer sur Internet est un sport extrême.

«C'est possible de surfer de façon anonyme, mais la majorité des internautes ne connaissent pas les manières de le faire. Comme consommateur, il faut faire attention à ce que l'on fait sur Internet.»

Aux yeux de ceux interrogés, les gens sont beaucoup plus prudents maintenant sur Internet qu'ils ne l'étaient il y a quelques années.

«C'est un outil que les gens apprennent à utiliser. Il y a cinq ans, les gens avaient peut-être moins développé des pratiques ou des réflexes qui pouvaient procurer une meilleure gestion des risques. On apprivoise l'outil, il est moins nouveau», dit Pierre Trudel.

Le professeur de l'Université de Montréal fait l'analogie entre Internet et une véritable autoroute, un exemple aussi donné par Alain Mercier.

«Avant d'aller chercher son permis de conduire on nous fait passer un cours, dit l'expert du CRIM. Sur Internet c'est un peu comme ça: il y a des pièges un peu partout. Je ne dis pas que tout le monde doit prendre des cours avant de naviguer, mais plus les gens vont être sensibilisés, mieux ce sera», dit l'expert en sécurité informatique.

À force de parler des dangers qu'il y a à conduire sur l'autoroute, Pierre Trudel craint qu'on n'en vienne à avoir peur d'utiliser sa voiture. «Si on essayait de transposer le discours à propos de la vie privée sur Internet à celui sur la sécurité routière, on cesserait de se déplacer en auto parce que c'est trop dangereux. Certains discours sont très alarmistes.»

La fin d'Internet?

Plus que la menace à la vie privée, ce qui fait peur au professeur de l'Université de Montréal, c'est ce qu'il appelle «l'hystérie de la vie privée» qui, selon lui, mène à la censure.

«Dès que quelque chose se trouve sur Internet et pourrait servir à des fins malveillantes, le premier réflexe c'est de le censurer. Il faut faire preuve de beaucoup plus d'imagination et se donner les moyens de lutter contre les fraudeurs.»

Il cite en exemple les informations des registres fonciers, d'où on a censuré des informations parce qu'il y avait une possibilité d'abus.

«Je crois qu'une approche beaucoup plus démocratique, c'est d'attendre qu'il y en ait des abus et de les punir sévèrement. Si on se met à appliquer le critère suivant lequel il y a des abus possibles pour empêcher l'accès aux informations, finalement il n'y aura plus d'Internet.»

Chez Option Consommateurs, Jacques Saint-Amant en appelle à la responsabilisation de tous. «Ça prend une meilleure éducation des gens, mais ce n'est pas la seule solution. Il faut aussi que les entreprises se responsabilisent, qu'on adopte des législations pour protéger la vie privée.»

Un point de vue que partage Alain Mercier, du CRIM. «Il faut éduquer les gens pour qu'ils arrêtent de divulguer leurs données. Et les entreprises qui gèrent ces données doivent le faire de manière adéquate et sécuritaire. Il ne faut pas arrêter la progression des services en ligne, mais il faut le faire de manière intelligente.»