(Tokyo) L’Arabie saoudite, qui multiplie les investissements dans le sport électronique, voit ce domaine comme une « porte d’entrée » pour développer son industrie du jeu vidéo et ambitionne de produire des superproductions maison, explique le prince chargé de cette stratégie.

« Nous voulons devenir une plaque tournante mondiale du jeu vidéo et des sports électroniques », rappelle le prince Faiçal ben Bandar ben Sultan Al-Saoud, président de la fédération internationale des sports électroniques (IESF), vendredi dans un entretien à l’AFP lors d’une visite à Tokyo.

Ces domaines « évoquent naturellement » des pays comme le Japon ou la Corée du Sud, mais « nous voulons que l’Arabie saoudite fasse partie de cette conversation », souligne-t-il.

Le Royaume, souhaitant diversifier son économie au-delà des énergies fossiles et améliorer son image, a annoncé en 2022 une stratégie d’investissement de 38  milliards de dollars, qui prévoit notamment de créer 39 000 emplois liés au jeu ou au sport électronique et de voir ces secteurs représenter 1 % du PIB national d’ici 2030.

Et elle organisera dès cet été une Coupe du monde des sports électroniques où les vainqueurs se partageront une dotation faramineuse de plus de 60 millions de dollars, espérant aussi attirer des millions d’admirateurs.

Le prince dit cependant voir le sport électronique comme « une porte d’entrée » pour une ambition bien plus grande, car « ce que nous voulons construire, c’est une industrie holistique » du jeu vidéo.

Pour y parvenir, le Royaume a notamment fait l’acquisition l’an dernier pour 4,9 milliards de dollars du studio californien Scopely, spécialisé dans le jeu mobile, dont le titre Monopoly Go, sorti l’an dernier, a généré 2 milliards de dollars de recettes en seulement dix mois.

Investissements « à fond, tout le temps »

Et d’autres grosses acquisitions vont suivre, prévient Brian Ward, patron de Savvy Games, le groupe détenu par le très puissant Fonds d’investissement public saoudien (PIF) et au centre de la stratégie nationale dans le jeu vidéo.

«  On n’arrête jamais. À fond, tout le temps », martèle cet ancien cadre d’Activision Blizzard. « C’est un bon moment pour être sur le marché, à la recherche de bonnes équipes dans les studios. Depuis un an et demi, il est difficile de trouver d’autres sources de capitaux. »

M. Ward espère aussi que Savvy pourra à terme profiter des massifs investissements du PIF dans de grands studios internationaux comme l’Américain Activision Blizzard et les Japonais Nintendo ou Capcom.

« Nous trouverons le moyen d’établir des partenariats plus importants avec eux, au-delà de la simple recherche d’un rendement financier », par exemple dans le sport électronique ou pour les aider à accroître leur visibilité au Moyen-Orient.

« Nous voulons avoir un impact dans dix ans, en construisant non seulement une plaque tournante mondiale, mais aussi régionale, qui fera décoller toute la région avec nous », ajoute le prince Faiçal.

Au-delà des jeux mobiles, le pays espère aussi produire d’ici 2030 un jeu AAA (à gros budget) pour consoles, « créé en Arabie saoudite par des Saoudiens », et développer ses propres licences, explique-t-il.

« Nous avons une longue tradition de narration […] Regardez Aladdin, les Mille et une nuits, Simbad… Toutes ces histoires ont été racontées d’est en ouest, mais jamais par nous », regrette-t-il.

« Carte blanche »

Les investissements dans le jeu vidéo de l’Arabie saoudite ont cependant été critiqués par les défenseurs des droits de la personne, pour lesquels cette quête d’influence peine à masquer un bilan très critiqué en la matière, entre répression des dissidents et fréquentes exécutions.  

L’assassinat du journaliste saoudien Jamal Khashoggi fin 2018 avait ainsi été imputé par le renseignement américain au prince héritier Mohammed ben Salmane.

Et les protestations contre ce pays qui criminalise l’homosexualité avaient fait échouer en 2020 un partenariat entre l’éditeur de jeu américain Riot Games et la future ville saoudienne NEOM.

« Nous sommes un pays en transition, nous nous ouvrons » petit à petit, commente le prince, pour qui « il y a beaucoup d’idées fausses sur l’Arabie saoudite et sur qui sont les Saoudiens ».

« Nous avons une culture conservatrice, par nature également. Mais cela ne signifie pas que nous évitons les gens ou que nous les repoussons », insiste-t-il.

« C’était important pour moi que Savvy puisse fonctionner comme une véritable entreprise de jeu vidéo », note Brian Ward, « en cohérence avec les valeurs et la culture de notre industrie ».

Et « c’est le cas, on nous a donné carte blanche », ajoute-t-il. «  Nous ne faisons rien de différent en étant basés à Riyad que si nous étions à New York, Los Angeles ou Berlin ».