Après des années à réduire l’information sur ses plateformes, Meta utilise désormais le travail des médias pour nourrir son nouvel outil d’intelligence artificielle.

Sur simple demande, le nouveau robot conversationnel Meta AI parcourt les sites d’information et fait une synthèse des grands titres. Il le fait même au Canada, où Meta bloque depuis août les sources d’information sur Facebook et Instagram, pour se soustraire à une loi qui l’obligerait à payer les éditeurs.

C’est une version abrégée de l’actualité. Meta AI se sert dans les médias pour présenter les grands titres du jour, des résumés de certains sujets ou des approfondissements sur l’actualité, sans que les utilisateurs aient à quitter ses applis. Si Meta AI s’impose, il risque de déclencher le prochain conflit entre Meta et les médias, qui ont une relation longue et difficile.

Le Washington Post a interrogé Meta AI sur les grands sujets d’actualité, puis comparé ses réponses aux sources citées en bas de page. Les réponses paraphrasaient régulièrement le texte des articles originaux. Dans de nombreuses réponses, Meta AI a copié mot pour mot des phrases de l’article de presse original.

Il faut chercher les sources

Les réponses elles-mêmes ne fournissent pas de liens et ne citent pas de sources. Il faut cliquer au bas de la réponse pour trouver des liens et les noms des médias dans lesquels Meta AI a puisé l’information. Dans WhatsApp aux États-Unis, les liens sont en bas de page. Il y a aussi un lien vers une recherche Google ou Bing sur le sujet.

En avril, Meta a commencé à supprimer l’onglet « Actualités » de Facebook aux États-Unis et en Australie, expliquant que « les gens ne vont pas sur Facebook pour les actualités et la politique ». En février, l’entreprise avait cessé de recommander le contenu politique sur Threads et Instagram.

Ces changements ont fait perdre beaucoup de trafic aux médias. Les résumés d’IA pourraient bouleverser à nouveau la façon dont les gens s’informent et réduire encore le trafic sur les sites de presse. Selon un sondage récent du Pew Research Center, les gens s’informent bien davantage sur leurs appareils numériques qu’à la télé, à la radio ou dans les médias imprimés. La moitié des Américains disent s’informer sur les réseaux sociaux (« parfois » ou plus souvent) ; l’usage de TikTok comme source d’information est en plein essor.

Ces plateformes ont pour but d’optimiser le temps de consultation des utilisateurs et de récolter des données à leur sujet. Elles se fichent pas mal de ce qui arrive aux médias ou aux journalistes.

Emily Bell, professeure au Tow Center for Digital Journalism de l’Université de Columbia

L’actualité n’est qu’un des sujets dont traite Meta AI. Il peut créer des illustrations, dresser une liste de choses à emporter en voyage, écrire de la fiction, jouer à des jeux et même enseigner la séduction. Mais ces réponses s’appuient aussi sur le travail d’autres entreprises, créateurs et gens ordinaires.

Meta AI est alimenté par un grand modèle de langage, ou LLM, appelé Llama 3. Ce type d’IA n’est pas programmé par un ingénieur. Il apprend à imiter la parole humaine en ingérant d’énormes quantités de textes récupérés sur l’internet et en analysant les relations entre les mots et les phrases. Meta AI affirme que son modèle est formé à partir de sources comprenant des informations accessibles au public en ligne et des données annotées.

Cette utilisation de ces contenus suscite des questions sur le plan légal et sur le plan éthique : plusieurs médias ont intenté des poursuites au civil. Les géants de l’IA disent être dans leur droit.

« Meta AI puise dans l’ensemble du web pour répondre aux questions des utilisateurs et fournit des sources à partir des moteurs de recherche avec lesquels nous collaborons. Depuis le lancement, nous avons apporté des mises à jour et des améliorations et nous continuerons à faire évoluer nos produits », a déclaré Daniel Roberts, porte-parole de Meta.

Test des résumés d’actualité de Meta AI

En avril, Meta AI a été ajouté à la barre de recherche et aux boîtes de dialogue de Facebook, Instagram, Messenger et WhatsApp dans de nombreux pays, dont les États-Unis et le Canada. Impossible de le désactiver dans la recherche, même si Meta AI prétend le contraire.

Pas besoin de le chercher. Faites défiler votre fil Facebook et Meta AI apparaîtra peut-être sous un article (aux États-Unis) avec des suggestions de questions en rapport avec celui-ci. Il a aussi son propre site, meta. ai.

Nous avons commencé par demander à Meta AI à quelles questions d’actualité il pourrait répondre. Nous avons ensuite testé les suggestions de Meta AI sur l’ensemble de ses applications aux États-Unis et au Canada.

Dans plusieurs cas, nous avons demandé à Meta AI « Quels sont les grands titres aujourd’hui ? » et nous avons obtenu des listes de cinq articles, qui reprenaient tous mot pour mot des phrases de CBS News, en particulier les métadescriptions des articles. La page d’accueil de CBS News est apparue comme source lorsque nous avons cliqué pour obtenir plus d’information. Dans d’autres tests, les réponses de Meta AI ont repris des phrases complètes de NBC News. Un résumé des nouvelles sur le ver qui s’est logé dans le cerveau de Robert F. Kennedy Jr. a aussi copié au moins une ligne mot pour mot, et fourni beaucoup d’autres passages à peine paraphrasés d’un article de CBS News.

Nous avons interrogé d’autres robots d’IA sur l’actualité : tous montraient des liens et des sources plus visibles. Google Gemini a choisi par défaut une grille de liens vers des articles de presse de différents médias (lors de nos tests, il n’a pas utilisé son nouvel outil d’IA Overview pour les questions sur l’actualité). Gemini a fourni un lien complet vers chaque article. La dernière version gratuite de ChatGPT d’OpenAI fournit un lien et le nom du média à la fin de chaque article qu’elle énumère. Enfin, Copilot de Microsoft établit un lien important entre chaque article et sa source, bien qu’il ne la nomme qu’au bas de la réponse.

Le problème de Meta au Canada

Au Canada, où Meta a bloqué les liens vers les articles de presse, elle contourne ses propres règles avec Meta AI, qui extrait des informations des sites interdits aux utilisateurs. Nous avons demandé à trois personnes de tester Meta AI au Canada : la plupart des réponses étaient semblables à celles données aux États-Unis, avec des liens ou des sources limités à la note de bas de page.

On a observé quelques différences. Dans deux recherches, Meta AI a dit ne pas trouver d’information à jour, suggérant de chercher en ligne les dernières mises à jour. Lorsque nous avons effectué des recherches dans WhatsApp au Canada, Meta AI a répondu, mais n’a pas indiqué de liens ou de sources, ce qui signifie qu’il a utilisé le travail des médias, mais n’a pas enfreint ses règles interdisant d’ajouter des liens.

Meta a bloqué les liens vers les nouvelles dans ses applications au Canada à la fin de 2023, après l’entrée en vigueur d’une loi obligeant les grandes firmes technologiques à payer les médias pour leur contenu. À l’époque, Meta affirmait que c’étaient les médias qui profitaient le plus de la pratique antérieure à la loi : « Les organes de presse mettent volontairement du contenu sur Facebook et Instagram pour élargir leur audience. En revanche, nous savons que les utilisateurs de nos plateformes ne viennent pas chez nous pour l’actualité ».

« Meta joue sur deux tableaux. En public, elle refuse aux gens la possibilité de consulter, de distribuer et de faire circuler des nouvelles sur ses produits au Canada », indique Daniel Winseck, professeur de communication et d’études des médias à l’Université Carleton, à Ottawa.

« À l’interne, rien de ce qui se passe à l’extérieur n’a d’importance parce que Meta fait ce qu’elle veut. »

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