Cinq cents gigaoctets de données mobiles à pleine vitesse pour 35 $ par mois. Des données illimitées sans fil à la maison pour 50 $. Des offres de l’internet sans fil résidentiel inconcevables il y a quelques années, tant en volume de données qu’en prix, sont apparues au Canada en 2023.

Que se passe-t-il dans le ciel canadien ? Le résultat des investissements pour la 5G et une stratégie pour augmenter l’offre sans réduire les prix, répondent des experts.

Dès 2019, avait constaté La Presse à l’époque, un des grands fournisseurs en télécommunications en Corée du Sud, KT, avait profité des vitesses supérieures promises par la 5G pour offrir à ses clients un service nouveau : l’internet haute vitesse sans fil à la maison. Aux États-Unis, deux fournisseurs en particulier, Verizon et T-Mobile, proposent depuis quelques années ce produit avec données sans fil illimitées qui compterait à ce jour quelque sept millions d’abonnés.

Au Canada, ce concept n’existait pratiquement pas, du moins pas avec des conditions concurrentielles, jusqu’à l’été dernier. Il existe bel et bien depuis longtemps des forfaits de données mobiles avec des modems utilisant le réseau cellulaire pour de l’internet résidentiel. Mais à titre d’exemple, 10 Go de données coûtent 110 $, ou 50 Go pour 150 $ par mois pour ces « forfaits internet mobile », selon ce qui est affiché sur le site de Bell.

62 $

Dépense mensuelle moyenne par ménage en 2021 au Québec pour les « services d’accès à internet »

Source : Statistique Canada, tableau 11-10-0222-01

Rogers a ouvert les hostilités avec des rabais plutôt spectaculaires sur son « service résidentiel 5G ». Cet internet sans fil offre par exemple en ce moment des vitesses de téléchargement pouvant aller jusqu’à 25 Mb/s pour les 500 premiers gigaoctets, avec vitesse réduite par la suite à 10 Mb/s, pour 35 $ selon certaines conditions.

Fait à noter, les prix sont plus bas au Québec, de près de 13 %, qu’en Ontario.

Le cours du gigaoctet en chute

Bell a présentement une offre semblable appelée « internet résidentiel sans fil 25 », ciblant les régions rurales, de 50 $ par mois avec vitesse maximale de 25 Mb/s jusqu’à 450 gigaoctets, et vitesse réduite à 10 Mb/s par la suite.

La grande nouveauté, en fait, c’est le volume de données mobiles offert à des prix raisonnables. Cette déflation se constate depuis 2022 chez pratiquement tous les fournisseurs, note-t-on chez PlanHub.ca, un site de comparaison de forfaits en télécommunications. Les baisses de prix par gigaoctet vont de 95 % pour Rogers à 31 % pour Vidéotron.

Comment expliquer cette soudaine générosité en données mobiles ? Par les investissements dans les réseaux et l’attribution de nouvelles fréquences, répond Eric Smith, vice-président principal à l’Association canadienne des télécommunications, qui représente la plupart des grands fournisseurs.

Il est encore trop tôt pour voir l’impact des récentes enchères de 2023 dans les spectres spécifiquement offerts pour la 5G, ceux de 3,8 GHz. Des enchères précédentes, dans les bandes de 3,5 GHz en 2021 et de 600 MHz en 2019, commenceraient cependant à porter leurs fruits. Ces deux derniers spectres constituent un « point idéal » (sweet spot) puisqu’ils permettent de combiner portée et capacité accrue de transport de données, explique M. Smith.

« Alors que les fournisseurs déploient antennes et équipe de télécommunications pour l’implantation de la 5G, ils peuvent gérer plus de connexions et augmenter la capacité du réseau. Tout cela améliore la qualité du service », précise-t-il.

Une explication « un peu cynique »

Observateur attentif de l’industrie des télécommunications, Pierre Larouche rappelle que la 5G a été présentée rapidement comme une solution de rechange intéressante aux réseaux filaires. Le professeur de droit de la concurrence à l’Université de Montréal estime que pour Rogers, il s’agit d’une solution alléchante pour pallier une de ses faiblesses au Québec, la distribution des signaux jusqu’au domicile des utilisateurs.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Pierre Larouche, professeur de droit de la concurrence à l’Université de Montréal

« Rogers peut concurrencer Vidéotron et Bell jusqu’à la tour cellulaire, ils ont une architecture comparable. Leur enjeu, c’est d’avoir une connexion jusqu’à la maison. »

Quant au coût en baisse de la donnée mobile, il prévient que son explication est « un peu cynique ». Il note que la concurrence au Canada se fait essentiellement sur trois plans. Le premier : la qualité du réseau. Le deuxième : le volume de données, qui connaît un bouleversement ces derniers mois. Ces deux stratégies ne coûtent pas grand-chose aux fournisseurs, estime-t-il.

« Sur la qualité du réseau, on vend des chiffres. Pour le volume de données, ça ne coûte pas trop cher de donner 50 Go au lieu de 5 Go […] Le réseau est là, il est payé, il en a la capacité. Pour les entreprises, c’est une manière de faire de la concurrence qui est gérable. »

Il fait un parallèle avec les compagnies aériennes qui sont en mesure d’offrir à la dernière minute des billets à prix dérisoires sur certains vols. « Le vol est payé de toute façon, l’avion est plein aux trois quarts, le transporteur aérien ne perd pas d’argent. Même pour un siège à 20 $, c’est 20 $ de profit bien fait. »

Ces deux premiers axes de compétition, analyse-t-il, servent surtout à éviter le troisième, nettement plus douloureux pour les entreprises : les guerres de prix. Ce qui pourrait être inévitable si la norme devient, comme avec l’internet résidentiel filaire, d’offrir des données illimitées.

« Après ça, il ne reste que la concurrence sur les prix, et c’est ce qu’elles veulent absolument éviter. On essaie des paramètres qui ne coûtent pas trop cher, la qualité du réseau, la quantité de données, mais on va arriver à la limite. Si le marché fonctionne bien, les prix vont baisser. »

En savoir plus
  • 394,4 Go
    Consommation mensuelle moyenne de données internet résidentielles par ménage canadien
    6,07 Go
    Consommation mensuelle moyenne de données mobiles par utilisateur au Canada en 2022. Elle était de 2,9 Go en 2019.
    Source : Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, troisième trimestre 2022