Avait-on besoin d’un nouveau réseau social ? Oui, si on se fie aux 6 millions d’abonnés de Clubhouse, cette curieuse plateforme audio sur invitation à mi-chemin entre le podcast et la tribune téléphonique à la radio.

Fait remarquable, 90 % des abonnés se sont joints à la plateforme depuis à peine deux mois, alors que seuls les nouveaux membres parrainés et disposant d’un iPhone ou d’un iPad peuvent s’y inscrire. Lancée de façon quasi confidentielle en mars 2020 par un entrepreneur de la Silicon Valley et un ingénieur chez Google, Paul Davison et Rohan Seth, elle fait une percée remarquée au Québec depuis début février.

INFOGRAPHIE LA PRESSE

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Son succès a suffisamment inquiété la Chine pour que l’application y soit bloquée depuis le 8 février.

Elle est évaluée à 1 milliard US depuis le 22 janvier, ce qui en fait officiellement une « licorne ».

Comme un Hyde Park virtuel

L’exploit est d’autant plus notable qu’il n’est pas facile de résumer le concept de Clubhouse. Il faut d’abord recevoir une invitation d’un membre existant, qui ne peut en distribuer que deux en théorie, et disposer d’un appareil mobile Apple. Comme dans tout bon réseau social, on doit établir son profil qui sera lié à un numéro de téléphone, préciser ses goûts et s’abonner à des comptes existants.

APPLICATION CLUBHOUSE

Sur Clubhouse, on a accès à des milliers de salons (rooms) ouverts par des abonnés sur le thème de leur choix, et qui peuvent recevoir jusqu’à 5000 personnes. Vendredi, Jamel Debbouze a accueilli des centaines d’abonnés pour une discussion informelle.

On a ensuite accès à des milliers de rooms – des salons, l’application n’existe qu’en anglais – ouverts par des abonnés sur le thème de leur choix, et qui peuvent recevoir jusqu’à 5000 personnes. C’est le modérateur qui parle et donne la parole à qui il veut, à tour de rôle. Les vignettes de ceux qui ont droit de parole apparaissent tout en haut et se trouvent sur une sorte de scène virtuelle, tandis que le reste de l’auditoire est affiché plus bas.

Tout est verbal, en audio, sans aucun texte ni vidéo. On pourrait comparer la plateforme au fameux Hyde Park, le plus grand parc de Londres où des orateurs défilent librement toute la journée. On parle sur Clubhouse aussi bien de racisme que des dernières tendances en maquillage bio, d’urbanisme comme de recettes. Des journalistes vont ouvrir un salon pour y interroger des sources potentielles sur un dossier qu’ils préparent, des animateurs vont y rencontrer leur auditoire après une émission, Elon Musk y a même invité Vladimir Poutine pour une discussion. Un DJ a proposé de la musique d’ambiance, tandis qu’un abonné a simplement ouvert un salon très populaire… où règne le silence.

Sans trolls

Les grandes vedettes de ce réseau : les rappeurs Meek Mill et 21 Savage, qui ont attiré respectivement 2,2 millions et 1,5 million d’abonnés. Hors du domaine artistique, le patron de Tesla, Elon Musk, a également recruté 1,5 million d’abonnés.

Et comme l’admission y est très sélective et que l’anonymat y est difficile, le ton des discussions jusqu’à maintenant est plutôt respectueux, constatent ses utilisateurs.

Ça fait longtemps que je n’avais vu une telle qualité de propos intéressants, avec des personnes provenant d’un peu partout. C’est d’autant plus apprécié dans un contexte où on a connu depuis un an une vague de trolls et de désinformation. J’ai l’impression de retrouver la fraîcheur des débuts de Twitter.

Bruno Guglielminetti, consultant en stratégie numérique, conférencier et chroniqueur

Présent depuis deux semaines sur Clubhouse, M. Guglielminetti se réjouit de n’avoir pas encore fait de mauvaise rencontre. « Je n’ai pas rencontré mon troll de service. Oui, il y a des échanges et des débats, mais il n’y a pas d’impolitesse. C’est comme une bouffée d’air frais. »

Olivier Lapierre, consultant en relations publiques, présente ce réseau social comme un « LinkedIn audio » où de jeunes entrepreneurs vont par exemple présenter leur innovation pour trouver du financement ou des acheteurs. Il utilise surtout Clubhouse pour se mettre au parfum des tendances, suivre l’actualité internationale et assouvir sa curiosité.

« J’ai vu des communautés de créatifs lancer des concours d’interprétation où les gens montaient sur scène et reproduisaient le chant d’une baleine. Ce sont aussi parfois des humoristes qui vont roder leur show. »

Mais il prévient les nouveaux venus : « Ça peut prendre beaucoup de temps pour séparer le bon grain de l’ivraie. Disons qu’il y a beaucoup de coachs de vie, beaucoup d’experts qui donnent des conseils… Ça peut poser des enjeux pour certains ordres professionnels. »

Démocratisation en vue

D’abord populaire aux États-Unis, Clubhouse a gagné en popularité en Asie puis en Europe et se répand dans la francophonie depuis quelques mois, simplement par le jeu exponentiel des deux invitations par abonné. Aucune publicité ni aucune forme de monétisation n’est encore présente, mais les règles pourraient changer dans les prochains mois, ont annoncé ses fondateurs sur leur blogue le 24 janvier dernier. D’abord, une application Android est en construction, ce qui permettrait de joindre les quelque 2,5 milliards d’utilisateurs de ce système d’exploitation. Ensuite, le système d’invitations exclusives sera vraisemblablement levé à moyen terme.

« Là, il y a une sélection faite à la porte, comme un club privé, mais le jour où on va démocratiser la plateforme, il va y avoir plus de gens et ça va changer le paysage », analyse Bruno Guglielminetti.

L’autre faiblesse souvent relevée de Clubhouse, et qui est l’envers de la médaille de sa grande transparence, c’est le peu de protection accordée à la confidentialité. Une fédération d’associations de consommateurs allemands a d’ailleurs déposé une poursuite à cet égard le 1er février dernier.

Sur Clubhouse, on décèle assez facilement les activités des membres. Le parrainage est public, les conférences sont ouvertes à tous et les interventions, consignées sur les serveurs de l’entreprise.

Qu’on n’utilise pas encore ces informations pour de la publicité ciblée ne rassure qu’à moitié.

« Tant que c’est une conversation de bon ton que tu pourrais publier dans un podcast ou diffuser à la radio, il n’y a pas de problème, estime M. Guglielminetti. C’est un endroit de prise de parole publique. Mais la dernière chose que je conseillerais à mes clients, c’est d’ouvrir une room pour tenir une réunion d’entreprise. »