(Ottawa) Alors que le gouvernement fédéral s’apprête à déployer sa politique sur les réseaux mobiles de nouvelle génération, les experts en sécurité mondiale affirment que tous les signes pointent vers l’exclusion du fournisseur chinois Huawei du plan tant attendu.

Le développement des réseaux 5G, ou de cinquième génération, permettra aux gens une connexion plus rapide à l’internet et fournira une vaste capacité de données pour répondre à une demande vorace, alors que de plus en plus d’objets se connectent à l’internet et que des innovations telles que la réalité virtuelle, les jeux immersifs et les véhicules autonomes voient le jour.

Les conservateurs à Ottawa ont longtemps fait pression sur les libéraux pour qu’ils refusent à Huawei un rôle dans la construction de l’infrastructure 5G du pays, affirmant que cela permettrait à Pékin d’espionner les Canadiens plus facilement.

Certains soutiennent que la participation de Huawei pourrait lui donner accès à toute une série d’informations numériques reposant sur la manière, le moment et l’endroit où les clients canadiens utilisent des appareils connectés à l’internet. Selon la théorie, les agences de sécurité chinoises pourraient alors obliger l’entreprise à leur transmettre ces informations personnelles.

Ces préoccupations découlent du fait que la loi chinoise sur le renseignement national stipule que les organisations et les citoyens chinois doivent soutenir, aider et coopérer avec les services de renseignement de l’État.

Huawei insiste pour dire qu’elle est une entreprise farouchement indépendante qui ne se livre à aucun espionnage pour qui que ce soit, y compris pour Pékin.

« Nous vendons dans 180 pays dans le monde, a déclaré Alykhan Velshi, vice-président des affaires générales de Huawei Canada. Nous devons nous conformer aux lois de chacun de ces pays. Et si nous devions violer la confiance, nous nous retrouverions à ne vendre que dans un seul pays. »

Trop alignée sur le régime chinois ?

Indépendamment de la question de savoir si Huawei présente un véritable risque pour la sécurité, les préoccupations ont donné lieu à une notion générale selon laquelle les pays ne peuvent pas se permettre de parier sur une entreprise de télécommunications soutenue avec enthousiasme par Pékin, a indiqué Wesley Wark, professeur adjoint à l’Université d’Ottawa et chargé de mission au Centre pour l’innovation dans la gouvernance internationale.

L’entreprise est tout simplement trop étroitement alignée sur le régime chinois pour que les États occidentaux puissent faire autre chose. Et ils ont des solutions de rechange.

Wesley Wark, professeur adjoint à l’Université d’Ottawa

M. Velshi a ajouté que Huawei Canada espère — et s’attend — à ce que toute décision prise par le gouvernement fédéral sur la politique 5G soit « basée sur la technologie et non sur la politique ».

Il souligne également que la plupart des quelque 1600 employés de Huawei au Canada participent à la recherche et au développement ainsi qu’à la commercialisation de produits autres que les équipements de réseau destinés aux opérateurs de télécommunications.

« La réalité est que nous avons une activité diversifiée au Canada, a indiqué M. Velshi. C’est pourquoi nous vendons des téléphones intelligents au Canada, nous vendons des oreillettes, nous vendons des ordinateurs portables. »

Perspective plus large

Bien que la question de Huawei ait fait l’objet d’une attention considérable, l’examen de la 5G par le gouvernement est un regard stratégique beaucoup plus large sur la façon dont cette technologie naissante peut stimuler l’économie du Canada.

« Toutefois, afin de tirer parti de cette possibilité de croissance économique grâce à la 5G, la sûreté et la sécurité de la technologie doivent être assurées », indiquent des notes d’information préparées plus tôt cette année pour Bill Blair, alors ministre de la Sécurité publique.

« Les incidents résultant de l’exploitation de vulnérabilités par des acteurs malveillants seront plus difficiles à protéger, et pourraient avoir un impact plus large que dans les générations précédentes de technologie sans fil », précisent les notes.

Que ce soit par hasard ou à dessein fédéral, les décisions prises il y a des mois, voire des années, dans des réunions de cabinets étrangers et des salles de conseil d’entreprises sont susceptibles de façonner profondément le déploiement de la 5G au Canada.

Trois des partenaires du Canada au sein de l’alliance de partage de renseignements du Groupe des cinq — les États-Unis, la Grande-Bretagne et l’Australie — ont pris des mesures décisives pour limiter l’utilisation de matériel Huawei dans les réseaux 5G respectifs de leurs pays.

L’avis des États-Unis

Le gouvernement fédéral reconnaît que les États-Unis ont fortement encouragé les pays à faire preuve de prudence en ce qui concerne les considérations de sécurité liées à la 5G, notant qu’une délégation américaine a visité le Canada en mars 2020 pour discuter de la question avec divers ministres et représentants du gouvernement.

Les États-Unis ont clairement indiqué que le Canada devait « monter à bord » s’il voulait continuer à faire partie du club, a indiqué Fen Hampson, professeur d’affaires internationales à l’Université Carleton.

« Il s’agit de la prime de sécurité que vous payez, non seulement au niveau national, mais aussi pour être un partenaire dans des alliances de sécurité privilégiées comme le Groupe des cinq. Il n’y a pas de repas gratuit, on ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre », a ajouté M. Hampson.

« C’est le grand défi auquel nous sommes confrontés aujourd’hui. Et je pense qu’il est assez clair de quelle manière le gouvernement va plonger. »

L’affaire Meng Wanzhou

L’annonce de la politique 5G du Canada a été effectivement mise en veille au cours des trois dernières années par un drame géopolitique tendu qui s’est joué entre Ottawa et Pékin.

Le Canada a arrêté Meng Wanzhou, une haute dirigeante de Huawei, en décembre 2018 à la demande des États-Unis, où elle était recherchée pour des allégations de violation des sanctions contre l’Iran.

PHOTO DARRYL DYCK, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

La directrice financière de Huawei, Meng Wanzhou

Cette décision a clairement suscité la colère de Pékin, et deux Canadiens travaillant en Chine - Michael Kovrig et Michael Spavor - ont été arrêtés peu après, accusés d’avoir porté atteinte à la sécurité nationale, une mesure largement considérée comme des représailles contre Ottawa.

Les États-Unis ont récemment conclu un accord de report des poursuites dans le cas de Mme Meng, ce qui a permis sa libération, et Pékin a autorisé les « deux Michael », comme on les a appelés, à rentrer au Canada.

Pendant ce temps, les grandes entreprises de télécommunications canadiennes ont géré l’incertitude en travaillant avec le suédois Ericsson, le finlandais Nokia et le sud-coréen Samsung pour les aider à construire leurs réseaux 5 G.

Bell Canada, pour sa part, avait peu à dire sur l’annonce fédérale à venir. « Nous n’avons pas de commentaire à faire, si ce n’est que nous sommes satisfaits de nos fournisseurs de réseaux 5G, Ericsson et Nokia », a déclaré la porte-parole Caroline Audet.

Huawei souligne que la participation de l’entreprise aux réseaux mobiles existants au Canada n’a jamais donné lieu à des plaintes liées à la sécurité, de la part des clients ou du gouvernement, concernant ses équipements.

« Et Huawei continue aujourd’hui de jouer un rôle important dans le réseau de télécommunications du Canada », a souligné M. Velshi.

Malgré tout, si le Canada devait interdire la participation de l’entreprise à la 5G, cela soulèverait des questions sur le sort des équipements Huawei dans les réseaux déjà installés.

Le gouvernement rappelle que le Programme canadien d’évaluation de la sécurité est en place depuis 2013 pour faire face aux risques de cybersécurité.

Le Centre de la sécurité des télécommunications, l’agence canadienne de cyberespionnage, collabore avec les entreprises de télécommunications et les fournisseurs d’équipement pour exclure certains équipements des zones sensibles des réseaux canadiens et assurer le test obligatoire des équipements avant leur utilisation dans des systèmes moins vulnérables.

Selon le gouvernement, le savoir-faire acquis grâce au programme sera important pour évaluer les cybermenaces et les risques des technologies émergentes.