(Washington) Les fausses informations qui se propagent sur les réseaux sociaux sont souvent vérifiées et démenties, au contraire des articles parodiques qui passent entre les mailles du filet, générant des polémiques et des revenus pour ceux qui les disséminent.

Bill Gates arrêté pour trafic d’enfants et pendu à Guantanamo, Tom Hanks exécuté par l’armée américaine, le pape François interdisant l’absolution pour les catholiques non vaccinés contre la COVID-19... Ces articles – tous bidons – ont été publiés sur des sites s’identifiant comme satiriques.  

Le problème, c’est que beaucoup d’internautes partagent ces canulars qui inondent les réseaux sociaux.

Pour Claire Wardle, co-fondatrice et directrice de l’ONG First Draft qui lutte contre la désinformation, les avertissements des sites « satiriques » ou « parodiques » peuvent être utilisés sciemment pour échapper à la surveillance des plateformes.

« On voit des gens malveillants ou des agents de la désinformation étiqueter leur contenu comme de la satire tout en sachant qu’il sera partagé sans cette mention », explique-t-elle. C’est devenu « une stratégie pour faire de l’argent ou semer la discorde », ajoute-t-elle.

Les plateformes sont aussi confrontées à un dilemme, la satire ou la caricature étant considérées aux États-Unis et ailleurs comme un élément important du discours politique et protégé implicitement par la Constitution ou les lois sur la presse.

Sa mention sur un site peut éviter à celui-ci d’être soumis à l’algorithme de Facebook – censé rendre les informations manipulées moins visibles – et, dans certains cas, échapper aux vérificateurs.

Humour ou politique ?

Pendant la campagne présidentielle américaine de 2020, le site de vérification PolitiFact de l’Institut Poynter a trouvé plus de 100 sites internet publiant des informations parodiques, sans avertissement explicite.

C’est, selon PolitiFact, « une tactique courante des désinformateurs pour gagner de l’argent en ligne » grâce à la publicité générée par sa diffusion en masse.  

Les histoires sur Bill Gates et Tom Hanks proviennent du site Real Raw News, selon lequel les articles diffusés sont à caractère « informatif, éducatif et divertissant » et « contiennent de l’humour, de la parodie et de la satire ».

Un autre article abondamment partagé affirme que le corps de Walt Disney, mort en 1966, a été cryogénisé et qu’il va bientôt être décongelé… Le fondateur de l’empire Disney a pourtant été incinéré.

Il a été publié par le site Daily News Reported, dont la devise est « Pas vraiment quotidien, pas vraiment de l’info » et qui s’identifie comme un « faux journal satirique et site d’humour ».

Le nombre d’articles farfelus, tous écrits par « admin », devrait faire tiquer les internautes, mais certains lecteurs ont du mal à séparer la vérité de la fiction, affirme Kelly Garrett, qui enseigne la communication à l’Université Ohio State.

« Si vous ne connaissez pas le sujet, vous lisez un titre qui ressemble à beaucoup d’autres », dit-il. « Et ce qui aurait pu paraître insensé il y a dix ans devient plus crédible ».

En 2017, en pleine élection présidentielle en France, une fausse interview du futur vainqueur Emmanuel Macron publié un an auparavant sur le célèbre site parodique Le Gorafi avait créé une énorme polémique.

« Quand je serre la main d’un pauvre, je me sens sale pour toute la journée », affirmait le « jeune et beau » ministre de l’Économie. Ces propos totalement inventés avaient pourtant été relayés par des internautes outrés.

Ambiguïté

Comme Le Gorafi français, The Onion aux États-Unis et The Beaverton au Canada sont des sites parodiques reconnus.

Mais d’autres cultivent plus l’ambiguïté, comme le Babylon Bee, à tendance plutôt conservatrice et auteur de l’info sur le pape, ou de celle affirmant que le chef du groupe État islamique, Abou Bakr al-Baghdadi, a décidé de déposer les armes, convaincu par un appel à l’amour universel de la chanteuse Katy Perry.

Selon une étude de l’Ohio State en 2019, 28 % des républicains et 14 % des démocrates admettaient croire aux « infox » du Babylon Bee. L’ex-président Donald Trump en a retweeté une en 2020.

Moins de personnes croient aux parodies de The Onion, mais les démocrates sont plus susceptibles de les prendre pour argent comptant.

Kelly Garrett, qui a dirigé l’étude, estime pourtant que la vérification de sites parodiques pourrait être moins efficace pour limiter la propagation de la désinformation.

« Si vous dites que c’est passé par la vérification, il y a une dimension politique », dit-il. « Si vous dites que c’est bidon, c’est plus persuasif ».