Le club de soccer CF Montréal verra la diffusion locale de ses matchs réduite de moitié l’an prochain à la suite de l’entente entre la MLS et Apple sur les droits de diffusion.

Le onze montréalais forcé de changer son plan de match

Le CF Montréal, affaibli après deux saisons en exil aux États-Unis, a reçu un coup de Jarnac de sa propre ligue avec le nouveau contrat des droits de diffusion qui vient réduire sa visibilité dans le marché québécois.

Selon les experts consultés, le club ne pourra faire autrement que de mettre les bouchées doubles en marketing pour gagner des amateurs à l’avenir.

Pour la somme de 250 millions US par année pendant 10 ans, la Major League Soccer (MLS) a vendu en juin dernier l’exclusivité de ses droits de diffusion à la plateforme numérique payante Apple TV+. Bien des détails de l’entente restent inconnus.

On sait toutefois que la production des matchs sera prise en charge par la Ligue, qui centralisera les équipes de commentateurs aux États-Unis. À compter de l’an prochain, les partisans qui préfèrent une description plus partisane des matchs de leur équipe sont invités à syntoniser la radio. De quoi nous rappeler l’époque nostalgique des Expos avec le tandem Jacques Doucet et Claude Raymond.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Gabriel Gervais, président et chef de la direction du CF Montréal

Le président et chef de la direction du CF Montréal, Gabriel Gervais, a dit espérer que des matchs seront quand même diffusés localement par RDS ou TVA Sports l’an prochain. « On va quand même avoir une masse critique de matchs qui vont être présentés encore à la télévision, a-t-il confié à notre collègue des sports Jean-François Teótonio. Souhaitons pour au moins la moitié des matchs. »

Autrement dit, l’amateur moyen, qui a accès cette saison à tous les matchs de son club sur TVA Sports, n’en verra plus que la moitié l’an prochain dans le meilleur des scénarios.

« Il y a un risque important qui vient avec cette entente-là », soutient Philip Merrigan, professeur de sciences économiques à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), qui s’intéresse à l’économie du sport professionnel. « C’est sûr que la franchise va recevoir une somme d’argent chaque année grâce à l’entente, mais est-ce que celle-ci va aider à faire progresser le sport à Montréal et au Québec ? Gros point d’interrogation. »

En vertu de la nouvelle entente, la totalité des matchs du CF Montréal ainsi que la totalité des matchs de la MLS seront offertes partout dans le monde sur Apple TV+, une plateforme que le public francophone d’ici ne fréquente pas vraiment pour le moment.

L'amateur devra payer pour accès au forfait des matchs du CF et de l'ensemble de la MLS. Si, en plus, il veut avoir accès au reste du service d'Apple TV+, comme la série Ted Lasso, il devra s'abonner à la plateforme.

« Chaque fois qu’il faut payer, c’est un frein au comportement du consommateur », souligne M. Merrigan.

Ce n’est pas une bonne chose pour le CF Montréal, qui a de la difficulté à gagner des adeptes.

Eric Brunelle, professeur à HEC Montréal et directeur du Pôle sports

Un réel souci pour un club qui peine à remplir le stade Saputo. En 2018, l’équipe montréalaise avait indiqué perdre entre 11 et 12 millions de dollars par saison depuis son entrée en MLS en 2012.

Le club est obligé de repenser sa mise en marché, suggère le spécialiste.

Les amateurs de sport aiment avoir un traitement personnalisé avec la mise en vedette des joueurs de leur équipe locale, soutient M. Brunelle. À ce chapitre, le club montréalais était bien servi par TVA Sports, selon lui. « C’est clair qu’avec une centralisation des équipes de production, il n’y aura pas de personnalisation. La personnalisation devra venir du club par l’entremise de ses propres outils numériques. »

Le président du CF Montréal, Gabriel Gervais, semble parfaitement conscient de l’enjeu. Au micro de Mario Langlois au 98,5 FM à la fin de juin, il a confié qu’il aurait préféré une transition plus graduelle vers le numérique.

« Il va falloir que l’on bâtisse beaucoup plus de contenu et que l’on aille chercher nos partisans de notre côté, a-t-il précisé récemment à La Presse. Il va falloir bâtir une équipe de contenu. Une équipe plus grande. On a une équipe, mais il va falloir avoir plus de muscle. »

PHOTO ERIC BOLTE, ARCHIVES USA TODAY SPORTS

Selon les experts consultés par La Presse, le CF Montréal devra redoubler d’efforts pour attirer de nouveaux partisans.

Le club vient d’ailleurs d’engager Samia Chebeir comme vice-présidente et cheffe de la direction marketing et communications. Elle a travaillé plusieurs années dans des agences de publicité comme lg2.

Le verre à moitié plein

Dans toute la ligue, la réaction de l’entente avec Apple TV+ a suscité un flux de commentaires positifs. Des gens y voient un pari payant sur l’avenir avec un partenaire de calibre mondial aux moyens « GAFAesques ». Le soccer attire une clientèle plus jeune et cosmopolite que les autres sports professionnels. Celle-ci n’écoute pas la télé et a adopté massivement la diffusion en continu sur l’internet. Une des raisons pouvant expliquer les cotes d’écoute modestes à la télé câblée (environ 200 000 personnes par match de la MLS par chaîne, selon le Sport Business Journal).

Selon Philip Merrigan, la Ligue, dont certains clubs roulent à perte, achète du temps avec cette entente de 2,5 milliards US en 10 ans. « Ça va faire en sorte que la Ligue reste à flots pendant quelques années », croit-il. La tenue de la Coupe du monde de la FIFA en Amérique du Nord en 2026 aidera également.

Créée en 1996 avec 10 clubs, la MLS va bientôt célébrer ses 30 ans, un exploit pour un circuit professionnel de soccer en Amérique du Nord. Toujours à la traîne derrière les quatre grands sports professionnels, la ligue qui aura bientôt 29 franchises avec l’arrivée de St. Louis peut être considérée comme un succès, selon M. Merrigan, ne serait-ce que par la progression spectaculaire de la valeur des équipes. Selon Forbes, un club valait en moyenne 30 millions US en 2008. Dix ans plus tard, la valeur moyenne a été multipliée par 10, à 313 millions US.

210 millions : valeur du CF Montréal, avant-dernier de la ligue, en 2018

Source : Forbes

Avec Jean-François Teótonio, La Presse

Une version antérieure de l'article indiquait à tort que le partisan devait s'abonner et à la plateforme Apple TV+ et au forfait MLS pour avoir accès aux matchs de son équipe favorite l'an prochain. Or, il sera possible de payer le forfait MLS sans devoir s'abonner à Apple TV+, a tenu à préciser le CF Montréal.

PHOTOMONTAGE LA PRESSE

Quand Apple se fait son cinéma

Lancée en même temps que Disney+, qui compte aujourd’hui six fois plus d’abonnés, proposant une fraction des contenus de son rival Netflix, Apple TV+ a pourtant réussi à coiffer les deux géants en devenant la première plateforme de diffusion vidéo à remporter le prestigieux Oscar du meilleur film et en collectionnant les trophées. Portrait d’une incursion étonnante d’Apple dans l’industrie de la diffusion en continu.

Un « service »

Depuis novembre 2019, moment du lancement officiel d’Apple TV+, Apple n’a jamais dévoilé de statistiques sur les revenus ou le nombre d’abonnés de sa plateforme. Dans les rapports annuels, elle fait partie de la catégorie « Services », dans laquelle on trouve également la publicité, l’infonuagique et Apple Pay. En 2021, cette catégorie a enregistré des recettes de 68,4 milliards US, en hausse de 33 % par rapport à l’année précédente.

25 millions

Fin juin, Toni Sacconaghi, de la firme Bernstein, a estimé à entre 20 et 40 millions le nombre d’abonnés payants. Il évalue ainsi les revenus à « entre 1 et 2 milliards », pour des dépenses frôlant les 3 milliards US. D’autres sources dans les médias évoquent plutôt des dépenses de l’ordre de 6 milliards US. Une compilation du site Statista évalue quant à elle le nombre d’abonnés à 25 millions, une estimation qui fait plus consensus et à laquelle il faut ajouter 50 millions d’abonnés profitant de diverses promotions. La plupart des acheteurs de produits Apple bénéficient en effet d’une offre gratuite pour Apple TV+ d’au moins trois mois.

Quoi qu’il en soit, Apple TV+ n’est assurément pas de taille à ce chapitre devant les 221,6 millions d’abonnés de Netflix et les 137,7 millions de Disney+. Apple a cependant ouvert les vannes au cours des deux dernières années en rendant l’application Apple TV+ disponible sur de nombreux systèmes d’exploitation.

Offre minime

On trouve un écart encore plus grand en ce qui concerne le catalogue des titres offerts. Apple TV+ n’en a que 147, presque tous originaux, tandis que Netflix trône loin devant ses compétiteurs avec 6475 titres.

Pour compléter le tableau, Apple TV+ offre par ailleurs un tarif mensuel plus bas que les autres.

Trophées à la pelle

Pourtant, avec un catalogue si mince, Apple TV+ a réussi l’improbable en mars dernier en devenant la première plateforme de diffusion vidéo à recevoir l’Oscar du meilleur film, remis à CODA. Neflix était aussi dans la course avec The Power of the Dog.

PHOTO FREDERIC J. BROWN, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

En plus de l’Oscar du meilleur film, CODA a remporté ceux du meilleur scénario adapté et du meilleur acteur dans un second rôle, remis à Troy Kotsur, que l’on voit ici célébrer avec l’actrice Marlee Matlin, qui incarne sa femme dans le film de Siân Heder.

« C’est plutôt impressionnant » pour Apple, résume Geetha Ranganathan, analyste médias principale chez Bloomberg Intelligence dans une entrevue accordée à Yahoo Finance. « Apple TV+ est arrivée et l’a raflé, alors que les autres plateformes faisaient beaucoup de bruit depuis des années. » Elle estime que cette victoire « légitimise » Apple TV+ en la rendant crédible.

Netflix, cela dit, a une fiche enviable de 16 Oscars dans d’autres catégories depuis 2013. Au total, la plateforme a reçu 267 trophées et 1018 sélections dans le monde. En moins de deux ans, selon un communiqué d’Apple publié en avril dernier, Apple TV+ s’est rapprochée dangereusement de ce bilan, avec 243 trophées et 961 sélections.

Championne d’IMDb

Apple clame depuis le lancement du service avoir fait le pari de la qualité, une assertion plutôt difficile à prouver, bien que plusieurs de ses séries phares comme Ted Lasso, Severance et For All Mankind aient reçu un excellent accueil critique et populaire. Une analyse des notes accordées par les utilisateurs de la base de données d’IMDb, effectuée par Self Financial, apporte un début de confirmation statistique : le catalogue d’Apple a la meilleure note moyenne depuis deux ans, avec 7,08 sur 10 en 2022.

Consultez l’étude (en anglais)

« Dans cette perspective, la performance d’Apple TV+ est rien de moins qu’impressionnante », estime Julia Alexander, analyste principale chez Parrot Analytics, citée par le média new-yorkais Observer. « La qualité moyenne est fantastique pour un nouveau service. Apple s’est concentrée sur la production d’une plus petite quantité de séries et de films, mais en les sélectionnant pour privilégier la qualité. »

Avec des revenus en 2021 de 365,8 milliards et une valeur boursière frôlant les 2500 milliards US, Apple a évidemment les moyens d’investir des sommes faramineuses dans ses productions. Mais pour nombre d’experts, il s’agit surtout de mousser tout un écosystème en faisant la promotion du service unifié Apple One, qui comprend des jeux vidéo, de l’infonuagique, de la musique et du contenu audiovisuel. Une façon pour Apple de diversifier ses revenus et de se libérer de sa dépendance à l’iPhone, qui représentait 70 % de ses revenus en 2017. En 2021, la proportion était de 52 %.

Apple et le sport professionnel

La diffusion du sport en direct passe de plus en plus par les plateformes de visionnement en continu. Jusqu’ici les Microsoft, Amazon, Google, Netflix et Apple s’y sont aventurés prudemment. Apple TV+ a réalisé sa première incursion cette saison avec la diffusion exclusive de deux matchs du baseball majeur les vendredis soir. L’entente avec la MLS confirme les ambitions du géant de Cupertino dans le sport professionnel. Les experts s’attendent à ce qu’elle soumissionne pour l’obtention des droits de certains matchs de football de la NFL. Les droits de la Ligue des champions (soccer) en Europe à compter de 2024 sont actuellement sur le marché.

André Dubuc, La Presse