Comme il a obtenu un financement additionnel de 675 millions sur cinq ans du gouvernement Trudeau, Radio-Canada devrait avoir des obligations plus élevées de mettre du contenu original canadien à l’écran, plaident les producteurs télé du Québec.

Les producteurs télé demandent à ce qu’on revienne au seuil historique minimal de 10 heures par semaine d’émissions d’intérêt national en heures de grande écoute sur la chaîne généraliste ICI Télé. En pratique, ICI Télé en a diffusé 10 heures par semaine en moyenne en 2019-20.

« Avec le réinvestissement important du gouvernement fédéral, nous estimons que Radio-Canada est en mesure de reprendre ces obligations. Dix heures, c’est ce qu’ils font [actuellement]. On ne voit pas pourquoi ils ne sont pas capables de maintenir leur niveau historique », a dit Hélène Messier, PDG de l’Association québécoise de production médiatique (AQPM), jeudi lors de sa comparution aux audiences du CRTC sur les licences de Radio-Canada. L’AQPM représente 160 producteurs de contenu.

Au contraire, Radio-Canada demande au CRTC, qui étudie actuellement ses conditions de licences, des obligations réglementaires moins élevées en matière d’émissions canadiennes d’intérêt national (ex : les séries dramatiques, les comédies, les émissions de variétés, les documentaires, les galas). Les émissions d’intérêt national comprennent les séries dramatiques canadiennes les plus populaires. Des exemples ? District 31, Les Pays d’en haut, le Bye Bye.

Pendant longtemps, Radio-Canada a eu l’obligation de diffuser dix heures par semaine d’émissions d’intérêt national en heures de grande écoute (19 h à 23 h) sur sa chaîne généraliste, rappellent les producteurs télé. En 2012, comme son financement public a été réduit par le gouvernement Harper, le CRTC a diminué son obligation réglementaire à sept heures par semaine sur ICI Télé. Le diffuseur public demande maintenant de la réduire à six heures par semaine. Radio-Canada promet d’en diffuser huit heures par semaine en comptant à la fois ICI Télé et sa plateforme numérique ICI Tou.tv, mais cet engagement ne serait pas contraignant car le CRTC a ne réglemente pas les plateformes numériques pour l’instant.

Les producteurs télé ne veulent pas assister à une diminution du nombre de séries à la télé, même si on ajoute des séries uniquement pour la plateforme numérique ICI Tou.tv. La raison : les budgets des séries télé (reprises ensuite sur les plateformes numériques de toute façon) sont beaucoup plus importants que les séries produites uniquement pour ICI Tou.tv. « On veut s’assurer que Radio-Canada ne produira pas toujours à moindre coût », dit Hélène Messier, PDG de l’AQPM.

En plus, les séries font des cotes d’écoute beaucoup plus élevées à la télé. « C’est le moment qui rassemble le plus de gens autour de leur télévision, dit Hélène Messier. On estime que c’est le mandat [de Radio-Canada] d’avoir les émissions les plus rassembleuses, qui font le plus appel aux talents des créateurs de langue française. ».

L’AQPM fait remarquer que les budgets des grandes séries télé québécoises ont fondu au cours des dernières décennies. « Les Filles de Caleb [avaient] un budget de 1,1 million l’heure [en 1990-91], dit Hélène Messier. Maintenant, c’est en moyenne moins de 500 000 $ l’heure pour une série. On assiste à une chute importante, alors que la moyenne est à deux millions de dollars l’heure pour une production de langue anglaise [au Canada]. »

L’AQPM aimerait aussi que Radio-Canada donne davantage de détails sur son contenu et son écoute sur ses plateformes numériques. Par exemple, Radio-Canada ne dévoile pas le nombre d’abonnés de l’Extra de ICI Tou.tv, estimant qu’il s’agit d’informations concurrentielles. Or, ses concurrents privés canadiens, Crave (Bell Média) et Club Illico (Vidéotron) dévoilent tous deux leur nombre d’abonnés (2,6 millions pour Crave, 453 000 pour Club Illico).

Conserver les émissions jeunesse à la télé

C’est le même débat pour les émissions jeunesse.

Pour les enfants (moins de 13 ans), Radio-Canada propose de diminuer ses obligations de matière de diffusion d’émissions canadiennes originales 100 heures à 80 heures par an sur ICI Télé. En contrepartie, le diffuseur promet de diffuser 110 heures par an sur l’ensemble de ses plateformes. Les producteurs télé ne veulent pas que l’obligation réglementaire passe de 100 heures à 80 heures sur ICI Télé.

« Il est encore important d’avoir des rendez-vous jeunesse avec les émissions de Radio-Canada, dit Hélène Messier, PDG de l’AQPM. Il faut leur donner l’intérêt des émissions produites ici, et il faut commencer jeune. C’est important de rejoindre la clientèle préscolaire, et de pouvoir le faire sur une chaîne facilement accessible. On trouve que la télévision est rassembleuse, alors que l’écoute sur les plateformes [numérique] est individuelle. Est-ce qu’on veut vraiment, comme société, encourager les jeunes enfants à consommer du contenu seul sur leur tablette, sans supervision parentale, sans pouvoir dialoguer avec leurs parents ? »

Le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC), qui poursuit ses audiences pour une autre semaine, décidera ensuite des conditions de licences télé et radio de Radio-Canada pour les cinq prochaines années.