(New York) Départ-surprise du patron de WeWork, débuts calamiteux de Peloton à Wall Street : les déboires de plusieurs licornes, ces sociétés valant plus d’un milliard de dollars avant leur arrivée sur les places financières, ont refroidi les marchés.

La crise interne que traverse WeWork est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase pour les investisseurs, qui ont pourtant abreuvé les jeunes entreprises technologiques de généreux financements pendant des années.

Pour Garrett Black de la société PitchBook, le spécialiste des bureaux partagés était « l’exemple typique d’une société au fondateur tout puissant accumulant les pertes au prétexte d’une forte croissance ». Le groupe a cristallisé la défiance des acteurs du marché qui montait depuis le début de l’année.

WeWork a en effet vu sa valeur fondre de plus de moitié depuis janvier, passant de plus de 47 milliards de dollars à moins de 20 milliards.

Son patron cofondateur, le très contesté Adam Neumann, a dû, sous la pression de plusieurs membres de son conseil d’administration, démissionner mardi. Et le groupe a finalement décidé de repousser son arrivée sur le New York Stock Exchange à une date indéterminée.  

D’autres licornes ayant franchi le pas plus tôt cette année se sont brisé les cornes.

Parmi les plus médiatisées, la plateforme de réservation de voitures avec chauffeur Lyft, en mars, et son rival Uber, en mai, ont connu des débuts désastreux, les actions ayant respectivement chuté de plus de 40 % et près de 30 % depuis le premier jour de cotation.

« Pour certains grands noms comme Uber, la période de forte croissance appartient au passé, dans les années précédant leur entrée en Bourse », justifie Nate Thooft de Manulife Asset Management.  

Uber, qui doit faire face à une concurrence accrue ainsi qu’à une régulation plus stricte de son activité à travers le monde, a notamment fait part de pertes de plus de cinq milliards de dollars au deuxième trimestre.

Une longue attente

Le spécialiste des équipements de conditionnement physique connectés Peloton, qui a débarqué jeudi à Wall Street, a vu son titre dégringoler de plus de 11 % à l’issue de sa première séance sur le marché new-yorkais.  

Quant à SmileDirectClub, qui propose des appareils d’orthodontie à prix réduit, son action ne cesse de chuter depuis deux semaines.

Capables de financer leur croissance pendant des années à coup de contributions massives d’investisseurs privés, plusieurs licornes n’ont pas rencontré le même succès une fois leurs premiers pas boursiers effectués.

Selon M. Thooft, ces géants ont attendu trop longtemps avant de se lancer et se révèlent incapables de rassurer les acteurs financiers sur leurs capacités à être un jour rentables.

Les déconvenues d’Uber et d’autres licornes ont conduit à une remise en question de la valeur financière d’entreprises à la forte croissance, certes, mais incapables dans l’immédiat de dégager des profits.

Pourtant, au-delà de quelques grands noms emblématiques, la situation des licornes récemment entrées en Bourse est loin d’être uniforme.

Selon un indice du cabinet spécialisé Renaissance Capital, les performances depuis le début de l’année de 80 % des entreprises récemment cotées (+25,4 %) sont en effet supérieures à celles de l’ensemble des valeurs de l’indice élargi S&P 500 (+20,9 %).

Cette bonne tenue est portée par quelques entrées réussies comme celle du spécialiste des services de vidéo-conférence Zoom, dont le titre s’est envolé de plus de 110 % en cinq mois, ou de la jeune entreprise végane Beyond Meat, qui a décollé de plus de 500 % depuis avril.

Bulle internet-

Reste que les investisseurs semblent décidés à être plus regardants sur les garanties apportées par les jeunes pousses technologiques sur le point d’entrer à Wall Street.  

« Ces entreprises vont devoir se montrer plus rigoureuses avec leurs dépenses. Leur bilan et leur rythme de croissance seront scrutés à la loupe », prévient Garrett Black de PitchBook.

« La croissance pure à des coûts très élevés ne sera sans doute plus autant valorisée », anticipe-t-il.

Le spectre de la bulle internet du début des années 2000, quand les valeurs liées aux nouvelles technologiques s’étaient effondrées après avoir gonflé sous l’effet de la spéculation, reste ancré dans les mémoires des acteurs du marché.

« Ce n’est pas la même situation qu’il y a 20 ans, où il ne faisait aucun doute que les valeurs des entreprises étaient démesurées. Avec les licornes, les valeurs sont montées trop vite, mais un retour à la raison est en train d’avoir lieu », rassure Jay Ritter, professeur d’économie à l’université de Floride.