L'économie mondiale s'est plutôt bien portée durant l'hiver, tandis que le nouvel occupant de la Maison-Blanche éprouve des difficultés jusqu'ici à faire passer des pièces maîtresses de son programme électoral. Aux premiers jours du printemps, les marchés boursiers sont devenus chers.

Comme au début de chaque trimestre, La Presse reprend sa consultation avec quatre experts en répartition d'actifs. En ce début de printemps, nous leur demandons de revenir sur les faits saillants de l'hiver, mais surtout d'indiquer leurs attentes pour le nouveau trimestre. Ils ajustent au besoin la répartition de leur portefeuille fictif, calibré à 100 000$ le 1er janvier. L'exercice consiste à formuler des recommandations pour faire fructifier ou pour protéger le capital d'un REER autogéré.

L'année a commencé en pleine brume. Qu'allait faire le nouveau président des États-Unis ? Jusqu'où allait progresser l'extrême droite en Europe ? Quelles allaient être les conséquences du retour en force des réflexes protectionnistes ?

Finalement, on sait que Donald Trump éprouve plus de difficultés que prévu à faire adopter les mesures phares de son programme politique, l'extrême droite a été refoulée aux Pays-Bas tandis qu'un candidat centriste a de fortes chances d'être le prochain occupant du palais de l'Élysée.

Néanmoins, la menace protectionniste persiste, comme en témoignent la toute récente rencontre au sommet sino-américaine et le déclenchement du compte à rebours du Brexit.

Malgré tout cela, les marchés boursiers ont remarquablement résisté. La moyenne industrielle Dow Jones s'est permis même le luxe de 12 records d'affilée en février.

Cela peut-il durer ?

« Ça fait longtemps que je n'ai pas bougé comme ça », souligne François Bourdon, chef des solutions de placement chez Fiera Capital. Il diminue de 10 points de pourcentage sa mise en actions. Seule augmente sa pondération en actions émergentes.

« Les marchés boursiers ont déjà beaucoup donné. On est en septième manche. C'est plus risqué qu'en troisième », explique-t-il avec cette analogie à la Claude Raymond ou à la Rodger Brulotte.

« L'avance de l'économie américaine s'est rétrécie, juge Vincent Delisle, stratège chez Scotia Capitaux. Les autres marchés boursiers ont plus d'attrait. »

Il diminue donc de trois points sa part dans les actions américaines au profit de l'encaisse. Cela fait partie d'une diminution plus générale du contenu cyclique dans le portefeuille.

Bien des investisseurs jugent à tort que le dollar américain va s'apprécier, juge-t-il. Or, il s'est déprécié de 2 % au premier trimestre, ce qui explique d'ailleurs en bonne partie la performance exceptionnelle des marchés émergents.  « Les investisseurs ont placé beaucoup d'argent en dollars américains : ils devraient commencer à en vendre. »

C'est le pari inverse que fait Stéfane Marion, stratège à la Banque Nationale. Tout en se disant surpris par la résilience des marchés boursiers, il croit à une correction prochaine. Voilà pourquoi il reste sous-pondéré en actions. « Les marchés sont chers, ils anticipent un prix du baril de pétrole à 58 $, au 30 juin. Nous, on le voit en bas de 50 $ », explique-t-il.

Cela favoriserait le dollar américain, mais peut nuire aux marchés émergents, surtout si les tensions commerciales entre la Chine et les États-Unis s'accentuent.

« Le marché américain est cher, mais il peut l'être davantage, juge pour sa part Michel Doucet, vice-président, gestion de portefeuille chez Desjardins Marché des capitaux. Il n'y a aucun choc à l'horizon, mais une pause santé en cours de trimestre est bien possible, comme cela s'est produit en octobre 2014 après un marché haussier de 1200 jours. » Après, il pourra être relancé. Il reste encore beaucoup d'argent sur les lignes de côté en attente d'aubaines. « Quand il n'y a pas de dérapage économique, les reculs sont courts et peu profonds. »

Voilà pourquoi il choisit d'augmenter de cinq points sa part en actions, en ayant soin toutefois de privilégier les actions canadiennes et EAEO (Europe, Asie et Extrême-Orient) et de retirer quelques billes dans les américaines.

On remarque aussi que M. Bourdon augmente de cinq points sa mise en obligations, bien qu'il reste convaincu que la Réserve fédérale américaine et la Banque du Canada vont camper sur leurs positions respectives. « Les marchés ont déjà anticipé les hausses de la Fed » et le statu quo de la Banque du Canada. Bref, les taux vont peu bouger d'ici le 30 juin.

M. Marion précise que les politiques monétaires asymétriques des deux banques centrales vont se refléter dans la courbe de rendements entre les taux à court terme et à long terme. Aux États-Unis, elle va s'aplatir quelque peu, pas au Canada. « Si Stephen Poloz a de l'influence sur les taux de trois mois jusqu'à deux ans, c'est Janet Yellen qui influence les taux canadiens sur les obligations de cinq ans et de 10 ans », résume-t-il.

Vincent Delisle se démarque de M. Marion sur un autre point. Il mise sur une remontée du prix du baril de pétrole à 55 $, ce qui favoriserait le marché boursier canadien : « C'est une pièce maîtresse de notre scénario, insiste-t-il. Une baisse du prix ferait mal à bien des économies, y compris à celle des États-Unis. »

M. Doucet parie aussi sur une appréciation des actions canadiennes. « L'endettement des ménages a beau être au plafond, 60 % des voitures vendues sont dans la catégorie de luxe et financées sur de longues années. La phase de désendettement ne viendra pas avant la prochaine récession. »

PHOTO Andrew Harrer, Archives Bloomberg

Le dollar américain s'est déprécié de 2 % au premier trimestre, ce qui explique d'ailleurs en bonne partie la performance exceptionnelle des marchés émergents.

Le premier trimestre en citations

« La faiblesse du marché canadien nous a surpris. On avait fortement misé sur le Canada. »

 - François Bourdon, chef des solutions de placement, Fiera Capital

« Le dollar canadien s'est maintenu autour des 75 cents américains. Ça m'a surpris, alors que le pétrole était en baisse. »

 - Michel Doucet, vice-président, gestion de portefeuille, Desjardins Marché des capitaux.

« Ç'a été un trimestre compliqué. Cela dit, le pétrole sous les 50 $ le baril, c'est l'histoire du trimestre qui a entravé la performance du marché boursier canadien. »

 - Vincent Delisle, stratège, Scotia Capitaux

« La grande surprise du trimestre, c'est la résilience du marché boursier. Il n'y a pas eu de correction. »

 - Stéfane Marion, stratège, Banque Nationale du Canada

Dossier complet

Pour voir les ajustements de nos experts ainsi que leurs rendements du premier trimestre, consultez notre dossier du 9 avril dans le cahier Vos finances de La Presse+.