Le spectre d'une commission nationale de valeurs mobilières menace l'éclosion de nouveaux success stories québécois en Bourse, selon Pierre Lortie, ancien président de la Bourse de Montréal.

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Selon lui, une commission nationale finira inévitablement par hausser le montant minimal d'une émission d'actions en Bourse - un frein à l'arrivée de nouvelles PME québécoises en Bourse, soutient-il. «Un organisme national a tendance à adopter une réglementation plus sévère pour les petites capitalisations, qui ont moins accès au capital. Est-ce que ça va arriver au lendemain de la création d'une commission nationale au Canada? Non, mais la tendance va être là», dit Pierre Lortie, qui a dirigé la Bourse de Montréal entre 1981 et 1985 avant de devenir président et chef de la direction de Provigo et de Bombardier Transport.

Pierre Lortie fait valoir que le Canada n'exige pas de montant minimal pour s'inscrire en Bourse. La valeur moyenne des premières inscriptions se chiffre à 2,5 millions CAN au pays.

Aux États-Unis, l'organisme fédéral demande une inscription minimale de 50 millions US. «Ceux qui pensent que 2,5 millions, ce n'est rien, eh bien ce fut la première émission publique à l'épargne de Couche-Tard, dit M. Lortie. En bas d'une émission de 100 millions, les banques ne touchent pas à ça, mais le reste de l'économie doit continuer de tourner. C'est tout ça qui est en jeu.»

Pierre Lortie, maintenant conseiller principal au cabinet d'avocats Fraser Milner Casgrain, ne comprend pas pourquoi le gouvernement fédéral tient tant à créer une commission unique des valeurs mobilières. «Les régions du Canada ont des caractéristiques et des besoins différents, dit-il. C'est ce que le fédéral remet en question en imposant les mêmes règles partout au pays.»

Dans sa conférence prononcée hier devant les comptables agréés de Montréal, Pierre Lortie a balayé du revers de la main les arguments du ministre fédéral des Finances, Jim Flaherty, voulant qu'un organisme fédéral serait moins compliqué à gérer et plus sécuritaire pour les investisseurs. «Dans les études de l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économique) et du FMI (Fonds monétaire international) sur le sujet, le Canada se classe parmi les meilleurs au monde, devant les États-Unis, le Royaume-Uni et l'Australie qui ont tous un organisme national de réglementation», dit Pierre Lortie.

Si la commission nationale voit le jour, le Canada perdra aussi un siège à l'Organisation internationale des commissions de valeurs (OICV). «Le Québec et l'Ontario ont chacun un représentant, dit Pierre Lortie. La Chine, les États-Unis et le Canada sont les seuls trois pays avec deux représentants. Expliquez-moi comment on améliorerait les choses si on descendait à un représentant?»

Le gouvernement fédéral, favorable à une commission unique, ainsi que l'Alberta et le Québec, deux provinces opposées au projet, se sont adressés aux tribunaux. La Cour suprême du Canada réglera vraisemblablement le débat à savoir si Ottawa peut créer une commission nationale des valeurs mobilières sans l'accord des provinces. «Si la cour reconnaît ce droit au fédéral, c'est game over», reconnaît Pierre Lortie, dont le cabinet d'avocats représente à la fois le Québec et l'Alberta dans ce dossier.

En cas de défaite en cour, Pierre Lortie croit que certaines provinces voudront se venger en ajoutant des obligations à leur loi sur les sociétés. «Les provinces voudront des nouvelles règles pour protéger les intérêts (qu'elles ont perdus), dit-il. C'est le pire instrument pour le faire, mais c'est ce qui arriverait.»