Les bouteilles de bière frappées des anneaux olympiques sortent déjà de la brasserie AB InBev, à Louvain, en Belgique, en prévision des Jeux qui se dérouleront à Paris à l’été et qui devraient être l’une des plus grandes opérations de marketing de l’histoire olympique.

Les derniers JO de Paris remontent à 1924, et la ville veut marquer le coup après que la COVID-19 a fait en sorte que les Jeux de Tokyo se sont déroulés dans des stades presque vides. Cette année, un brasseur sera commanditaire de cet évènement qui met en valeur le summum de la performance sportive – une première.

Et la bière officielle des JO de Paris, la Corona Cero, est sans alcool.

Le plus grand brasseur du monde mise sur ce produit lancé en Europe il y a seulement deux ans. AB InBev espère profiter des Jeux de Paris et de ses milliards de spectateurs pour améliorer sa position dans la seule partie de l’industrie mondiale de la bière qui connaît une véritable croissance.

Buveurs soucieux de leur santé

D’une valeur de 13 milliards de dollars, les marques, de Heineken à Guinness et maintenant Corona Cero, reluquent un groupe de consommateurs soucieux de leur santé – dont beaucoup de jeunes – et peu intéressés par l’alcool.

Les brasseurs d’AB InBev ont travaillé sur des procédés imitant le goût et la texture de la vraie bière. Il y a désormais des Heineken, Guinness et Budweiser sans alcool. Des centaines de brasseurs artisanaux et de nouvelles marques apparaissent et visent ce marché.

Pour Michel Doukeris, PDG d’AB InBev, c’est très simple : « le consommateur a changé ».

Le marché de la bière sans alcool (ou à teneur inférieure à 0,5 %) fait 31,4 millions d’hectolitres par année, une goutte dans les 1,93 milliard d’hectolitres par année de la bière alcoolisée, selon GlobalData Plc. Mais son taux de croissance annuel est de 3,6 % depuis 2018, contre 0,3 % pour la bière alcoolisée. Aux États-Unis, les adultes âgés de 18 à 34 ans qui déclarent boire sont passés de 72 % en 2000 à 62 %, selon Gallup.

Voilà des chiffres que les brasseurs ne peuvent ignorer, en particulier AB InBev, qui est déjà à la traîne, ayant annoncé qu’elle ratera son objectif de faire 20 % de ses ventes dans le segment peu ou pas alcoolisé d’ici 2025.

PHOTO KENZO TRIBOUILLARD, AGENCE FRANCE-PRESSE

Le taux de croissance mondial de la bière non alcoolisée est de 3,6 % depuis 2018, contre 0,3 % pour la bière alcoolisée.

« Bien des évènements sportifs ont déjà des bières officielles sans alcool », souligne l’analyste Susie Goldspink, qui couvre les bières peu ou pas alcoolisées au cabinet marketing IWSR. « Ça s’explique en partie par le fait qu’il s’agit d’un secteur en pleine expansion, mais aussi, ça contribue à leur programme de consommation responsable. »

Les brasseurs font d’une pierre, deux coups. Comme leurs versions sans alcool portent souvent le même nom et le même étiquetage que la bière originale, ces commandites renforcent la marque et contournent les restrictions de plus en plus strictes sur la publicité pour l’alcool.

La Corona Cero suit la tendance des bières sans alcool dans tout le sport – par exemple, la Heineken 0,0 en Formule 1 et la Guinness 0,0 au tournoi de rugby des Six Nations. En 2023, Carlsberg a distribué 400 000 canettes de la bière française sans alcool Tourtel Twist lors du Tour de France.

D’ailleurs, Carlsberg positionne la Tourtel Twist comme sa bière sans alcool durant les Jeux de Paris. « Nous sommes la bière officielle de Paris et de la France », affirme Jacob Aarup-Andersen, PDG de Carlsberg. « C’est la bière officielle du mouvement olympique. Lors des évènements, on vous servira de la Tourtel. »

Chez l’américaine Athletic Brewing Co., qui ne vend que des boissons non alcoolisées, on pense qu’un parrainage olympique profite au segment tout entier. « Parfois, pour augmenter la notoriété d’un produit, il faut de gros joueurs capables d’avoir un impact », observe le cofondateur John Walker.

Pour les fabricants de boissons, il est vital de suivre l’évolution des goûts, qui a déjà sonné le glas de nombreuses entreprises. Selon la British Beer and Pub Association, plus de 7000 bars ont fermé au Royaume-Uni depuis 10 ans. Les taxes sur l’alcool, les loyers, les coûts et la réglementation ont joué un rôle, mais les habitudes de consommation aussi.

Les jeunes boivent moins

Les consommateurs – surtout les milléniaux et la génération Z, très influencés par les réseaux sociaux – boivent moins. Les brasseurs doivent proposer une offre viable – et attrayante – à cette clientèle qui peut se tourner vers les boissons gazeuses ou l’eau.

Selon GlobalData, la Heineken 0,0 est la première marque mondiale des bières sans alcool. L’All-Free du japonais Suntory et la Brahma 0,0 % d’AB InBev sont aussi sur le podium.

En Allemagne, la très vénérable marque Weihenstephan – aujourd’hui propriété de Bavaria – produit des bières sans alcool depuis 1990.

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L’amélioration du goût des bières sans alcool est venue ces dernières années, avec une percée brassicole, la « fermentation basse » (entre 7 °C et 13 °C).

Mais en 2020, flairant une tendance, Weihenstephan a plus que doublé sa capacité, pariant sur la croissance future. Aujourd’hui, sa bière de blé sans alcool approche 10 % de ses ventes et constitue son troisième produit en matière de ventes.

Mais la meilleure publicité ne sert pas à grand-chose si les gens n’aiment pas le produit.

Jusqu’à récemment, la bière sans alcool se comparait mal à la « vraie bière » aux yeux et aux papilles des buveurs. C’était tout un défi technique pour les brasseurs : comment obtenir la profondeur de goût sans alcool ? Fallait-il empêcher la formation de l’alcool pendant la fermentation ou l’éliminer après ?

Selon Jim Koch, PDG de la Boston Beer Company, qui brasse la Samuel Adams, l’amélioration du goût est venue ces dernières années, avec une percée brassicole, la « fermentation basse » (entre 7 °C et 13 °C). Boston Beer a lancé sa bière sans alcool, Just The Haze, en 2021.

Lancée en 2017, la Heineken 0,0, elle, est fabriquée à partir d’eau, de malt d’orge, d’extraits de houblon et de levure – les mêmes ingrédients que la Heineken originale. L’alcool est ensuite retiré par un procédé appelé « distillation sous vide », puis on ajoute des arômes naturels pour que le goût soit plus proche de l’originale.

Longtemps, j’ai refusé de travailler à une bière sans alcool. Je n’en avais jamais goûté une que je trouvais bonne.

Willem van Waesberghe, maître brasseur chez Heineken

Les Jeux olympiques débuteront dans moins de deux mois, le 26 juillet. AB InBev dévoilera bientôt les détails de sa campagne, qui devrait « accélérer la croissance des bières sans alcool ».

En outre, les brasseurs travaillent sur un autre défi technique qui devrait augmenter les ventes dans les bars : la bière sans alcool en fût. « C’est comme le rosé dans le sud de la France, qui est toujours meilleur que chez soi, explique M. van Waesberghe. Dans un bar, on aime la bière pression ; elle donne une impression d’authenticité. »