Deep Sky, qui caresse l’objectif d’éliminer du carbone atmosphérique à coups de milliards de tonnes, saura bientôt si le sous-sol québécois est propice à l’enfouissement. La jeune pousse montréalaise finalise ses préparatifs pour aller voir ce qui se passe sous terre à Bécancour, où un test d’acceptabilité sociale l’attend.

La dernière année a surtout été marquée par la réalisation d’une ronde de financement de 75 millions – à laquelle Investissement Québec, le bras financier de l’État québécois, a contribué. Le travail sur le terrain doit maintenant démarrer chez Deep Sky. La première étape : réaliser des imageries sismiques dans le Centre-du-Québec.

« Cela ne détruit rien et on ne coupe pas d’arbres, précise d’emblée son cofondateur et président du conseil d’administration, Frédéric Lalonde, qui a également cofondé l’application de voyage Hopper. Mais il faut quand même aller expliquer ce que c’est. On va faire du porte-à-porte pour que les gens comprennent. On ne voit pas cela souvent au Québec. »

En principe, les relevés devraient s’effectuer pendant le mois de mai. Cette phase devrait s’échelonner sur quelques semaines et chevaucher le mois de juin. Le parc industriel de Bécancour a été ciblé par Deep Sky, entre autres. Pour y arriver, on utilisera un camion qui frappera le sol à plusieurs reprises en utilisant des poids très lourds, ce qui peut parfois donner l’impression d’une secousse sismique en plus d’être bruyant. C’est la firme Géostack qui a été mandatée par l’entreprise de M. Lalonde.

L’objectif : créer un « modèle en trois dimensions du sous-sol », affirme M. Lalonde. Cela permettra de déterminer la taille des « réservoirs » qui pourraient accueillir du CO2 ainsi que l’étanchéité de la roche.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Frédéric Lalonde, cofondateur et président du conseil d’administration de Deep Sky

Ce travail n’a jamais vraiment été fait. Les données préliminaires nous disent que Bécancour est la zone la plus propice pour le stockage. On aura vraiment nos réponses après les relevés sismiques. Ces données seront aussi offertes au milieu universitaire.

Frédéric Lalonde, cofondateur de Deep Sky

Deep Sky analyse également des endroits en Colombie-Britannique, en Alberta ainsi qu’au Manitoba. L’entreprise souhaite déployer les meilleures technologies de captage de carbone dans l’air et l’océan avant de le séquestrer sous terre. Retirer du CO2 de l’atmosphère constitue une partie de l’équation, mais il faut aussi savoir où le stocker, rappelle M. Lalonde.

Preuves à faire

La société voudrait injecter le gaz dans des aquifères salins – des poches souterraines où se trouve de l’eau salée. À haute pression et en contact avec les minéraux et la chaleur, le carbone doit en principe rester coincé à jamais sous terre. M. Lalonde est conscient que cette technologie doit encore faire ses preuves, notamment sur sa capacité à être déployée à grande échelle ainsi que sur sa viabilité financière.

Il y aura aussi du travail à faire sur le terrain à Bécancour. Deep Sky dit avoir déjà rencontré les élus et les autorités locales dans la région. Si elle se dit « plutôt favorable » aux visées de la jeune pousse en matière de décarbonation, la mairesse de la municipalité, Lucie Allard, est catégorique : « L’acceptabilité sociale est névralgique. »

« L’entreprise doit avoir un plan béton pour rencontrer les propriétaires de terrains où elle souhaite effectuer des relevés, ainsi que la population », explique Mme Allard.

Ce qui nous préoccupe, c’est que les camions qui circulent sur notre territoire pour les relevés viennent rappeler les épisodes du gaz de schiste. Il faut que la population soit informée que ce n’est pas cela du tout.

Lucie Allard, mairesse de Bécancour

Même son de cloche du côté de la Société du parc industriel et portuaire de Bécancour (SPIBP). Son président-directeur général, Donald Olivier, trouve le projet intéressant, mais estime aussi que la balle est dans le camp de Deep Sky.

« C’est l’entreprise qui doit obtenir les autorisations de chacun des propriétaires de terrains où elle souhaite effectuer des tests, dit M. Olivier. Ce n’est pas une mince tâche. On tend l’oreille au projet, mais si on a des choix à faire, c’est certain que l’on va opter pour ce qui a déjà été lancé avec la filière des batteries. »

En décembre dernier, dans un dossier sur le captage et la séquestration du carbone, La Presse avait cité l’avis d’experts qui estimaient que ce mécanisme devait faire partie des outils de la décarbonation, notamment pour aider l’industrie lourde (alumineries, aciéries, etc.) où il est difficile de tout électrifier. Ils prévenaient cependant qu’il ne s’agit toutefois pas d’une solution magique pour dénouer l’impasse climatique. M. Lalonde en est bien conscient.

Deep Sky en bref

  • Cofondée en 2022 par Frédéric Lalonde et Joost Ouwerkerk
  • Président-directeur général : Damien Steel
  • Investisseurs : Investissement Québec, OMERS Venture, Fonds Technologies pour le climat de la Banque de développement du Canada
  • Siège social : Montréal