De l’avis même de leur PDG, les entreprises montréalaises MTY et GDI ont fait le saut en Bourse de façon prématurée. Ces aveux sont au nombre des confidences racontées dans un livre que lance ce printemps le gestionnaire de portefeuille Carl Simard, cofondateur du cabinet de gestion d’actifs Medici.

Dans les sillons de fleurons québécois est un livre racontant l’histoire de cinq entreprises du Québec jugées exemplaires, selon la grille d’analyse utilisée par le gestionnaire pour identifier des perles rares.

Trois des cinq entreprises présentées sont inscrites en Bourse, c’est-à-dire le franchiseur en restauration MTY, le spécialiste des services aux immeubles GDI et le distributeur de quincaillerie d’ameublement Richelieu.

Les deux autres sont ISAAC Instruments, un fournisseur de logiciels pour les parcs de camions de transport de marchandises, et le Groupe Deschênes, spécialisé notamment en mécanique du bâtiment et en pièces automobiles.

Pour rédiger son livre, Carl Simard a interviewé les dirigeants des cinq entreprises.

Deux entrées en Bourse pour GDI

GDI a été inscrite en Bourse une première fois en 2007 avant d’être privatisée en 2012 à l’aide de la firme d’investissement torontoise Birch Hill, puis réintroduite en Bourse en 2015. Le PDG Claude Bigras affirme dans le livre que GDI est entrée en Bourse pour de mauvaises raisons les deux fois.

« Ces émissions publiques ont été selon moi inévitables, mais regrettables, car elles ont probablement été prématurées et les fonds recueillis n’ont pas contribué directement à la progression de notre entreprise. Ils ont servi à racheter les fondateurs et quelques investisseurs initiaux. Cet argent n’a jamais été investi dans les coffres de la société. »

Claude Bigras admet toutefois que le fait que GDI soit inscrite en Bourse a eu l’avantage de roder les processus administratifs de l’entreprise et d’accroître la notoriété, « ce qui a facilité plusieurs acquisitions », dit-il.

Une pression indésirable pour MTY

Le PDG du Groupe MTY, Éric Lefebvre, parle de son côté d’une inscription prématurée à la Bourse pour l’exploitant de multiples concepts de restauration rapide, « dont la pression pour fournir des résultats à court terme a peut-être provoqué des actions incompatibles ».

L’auteur du livre rapporte d’ailleurs un commentaire sans appel d’un des fondateurs de MTY, Stanley Ma.

Nous avons été naïfs de croire que le marché boursier était un véhicule adéquat à l’époque.

Stanley Ma, cofondateur et ancien président de MTY, cité dans le livre Dans les sillons de fleurons québécois

« En dépit de la détermination de ses dirigeants, l’organisation n’était carrément pas assez mûre pour le contexte boursier. Le lendemain de leur inscription, les sirènes financières qui prétendaient ramer avec eux avaient déjà quitté le bateau », écrit Carl Simard dans le livre.

Les actions de MTY ont d’abord été inscrites à la Bourse de Vancouver au tournant des années 1990 avant une migration à la Bourse de Toronto par la suite.

Aventure en technologie

En entrevue avec La Presse, Carl Simard déplore voir encore aujourd’hui des entreprises s’inscrire en Bourse « pour rien ». Il cite l’exemple du fournisseur montréalais de solutions de paiement Nuvei, qui vient d’annoncer une opération pour fermer son capital, et Lightspeed, une autre entreprise de technologies financières montréalaise.

Certains apprendront par ailleurs à la lecture du livre que MTY s’est aventuré dans le domaine de la technologie dans les années 1990. MTY commercialisait des systèmes de gestion de stationnement et des photocopieurs. Ce segment d’affaires a même représenté jusqu’à 50 % des revenus de MTY à l’époque.

Les acquisitions en série constituent un facteur déterminant dans l’émergence de quatre des cinq entreprises du bouquin. Les taux d’intérêt qui sont demeurés à des creux historiques pendant des années ont facilité la conclusion de nombreuses transactions en abaissant le coût du capital investi, et M. Simard souligne que les dirigeants doivent désormais naviguer dans un cycle où les taux d’intérêt risquent d’être plus élevés que par le passé.

Carl Simard dit ne pas avoir la prétention de créer un palmarès des championnes de la création de valeur ou des meilleurs dirigeants. Son livre constitue plutôt, dit-il, un outil pour aiguiser ses repères au moment d’identifier des entreprises qui se démarquent de façon durable.

L’entrepreneur financier avoue qu’il aurait aimé qu’Alain Bouchard accepte de participer à son livre parce que Couche-Tard – dont M. Bouchard est le cofondateur et le président exécutif du conseil d’administration – est certainement une autre entreprise exemplaire. Tout comme CGI, ajoute-t-il.

À la sauce québécoise

Carl Simard affirme que son expérience lui fait réaliser que les entrepreneurs d’ici ont des traits particuliers.

Les Québécois ont une façon de faire des affaires différente pour ce qui est de la relation avec la clientèle. On a une façon de faire plus humaniste. On joint bien l’humanisme au capitalisme.

Carl Simard, cofondateur du cabinet de gestion d’actifs Medici

« Il y a un modèle spécial au Québec. Le respect du monde. Les entrepreneurs respectent leurs fournisseurs », estime M. Simard.

Medici n’est pas nécessairement actionnaire des trois entreprises cotées en Bourse citées dans le livre. Carl Simard aime ces entreprises, mais explique qu’il est condamné à battre le marché en tant que gestionnaire de portefeuille. « Alors même s’il s’agit d’une entreprise exemplaire, il faut acheter à un prix raisonnable. »

Quelque 2000 exemplaires du livre ont été imprimés pour distribution à des clients et amis. Le livre sera offert gratuitement en version électronique sur le site de Medici.

Dans les sillons de fleurons québécois

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