Le phénomène « Barbenheimer » n’a pas réussi à renflouer suffisamment les coffres du Méga-Plex Marché Central de Cinémas Guzzo, contribuant à envenimer ses relations avec son bailleur. Excédé, le propriétaire des lieux réclame 1,8 million à la chaîne québécoise et demande aux tribunaux de lui donner le droit de l’expulser.

C’est ce que révèle une requête amendée déposée la semaine dernière par le bras immobilier de la British Columbia Investment Management Corporation (bcIMC) – un gestionnaire de régime de retraite – auprès de la Cour supérieure du Québec. La dispute judiciaire lève le voile sur une relation d’affaires qui s’est grandement envenimée. Alors que l’institution britanno-colombienne reproche à son locataire d’être un mauvais payeur et de ne pas avoir suffisamment d’argent dans ses comptes de banque, Cinémas Guzzo accuse celle-ci d’avoir une « déconnexion avec le milieu du cinéma ».

« Ils peuvent alléguer ce qu’ils veulent, ils ont été payés », affirme sans détour le président-directeur général de l’entreprise familiale, Vincent Guzzo, dans une entrevue téléphonique avec La Presse, où il a commenté le dossier même s’il est toujours judiciarisé.

Les allégations de la plaignante n’ont pas encore été prouvées devant le tribunal et ses avocats ne nous ont pas rappelés.

Aux dires de bcIMC, sa relation d’affaires avec le grand patron de Cinémas Guzzo était solide avant l’arrivée de la COVID-19. C’est la pandémie qui semble avoir tout fait basculer. Depuis, l’entreprise accumulerait les retards de paiement, signerait des chèques sans provision et omettrait d’inclure des intérêts lorsqu’elle est en mesure d’effectuer un versement.

L’homme d’affaires admet toutefois dans la foulée que la grève des scénaristes jumelée à celle des acteurs à Hollywood l’automne dernier, qui a reporté la sortie de nombreux films américains, a nui à la rentabilité de son cinéma du Marché Central, « qui vit du produit américain ». Puis il ajoute avoir seulement demandé un peu de marge de manœuvre à la filiale immobilière de la bcIMC.

« Le lousse qu’on voulait, c’est de pouvoir payer le loyer durant le mois et non le 1er du mois. Des fois, on est serrés. Il n’y a rien d’anormal dans ce que j’ai demandé, soutient-il. En général, les propriétaires immobiliers ont compris que c’était mieux d’avoir un loyer en retard que de ne pas avoir de loyer [du tout]. »

« Parfois, il faut choisir ce qui est le plus important. Est-ce vraiment important de payer un loyer le 1er du mois quand ce cinéma-là est en train de perdre de l’argent ? Est-ce que je ne devrais pas payer des fournisseurs ? »

Un virus qui change tout

Retour en arrière. Cinémas Guzzo s’est installée au Marché Central en 2004 en signant un bail d’une durée initiale de 10 ans. Ce dernier a été renégocié et renouvelé à de nombreuses reprises au fil du temps. L’échéance actuelle est prévue en 2035 – ce qui ne convient visiblement plus au propriétaire des lieux.

Tout bascule avec la pandémie. Afin de redonner de l’oxygène à la chaîne québécoise, qui a grandement souffert des restrictions sanitaires ayant provoqué des fermetures temporaires de ses salles en plus d’en plafonner la capacité par moments, le bail est restructuré à deux reprises, en 2021 et en 2022.

« Or, nonobstant les termes du bail […] le locataire refuse ou néglige de respecter ses obligations librement négociées et convenues », allègue la requête de bcIMC.

Cinémas Guzzo a accumulé d’importants retards lorsque son propriétaire se tourne vers la Cour supérieure du Québec, le 31 janvier 2023. Les « arrérages » sont « substantiels » et sont supérieurs à 30 mois. Ils remontent au 1er mars 2020, d’après le contenu de la requête introductive d’instance, qui vise à contraindre l’entreprise québécoise d’acquitter les sommes en souffrance.

Même si une « entente de principe » survient entre les deux parties après le début du processus judiciaire, Cinémas Guzzo est toujours incapable de respecter ses obligations. Ses réserves financières seraient alors insuffisantes.

« Au courant des mois de septembre et d’octobre 2023, certains chèques envoyés par le locataire pour le paiement du loyer ne peuvent être encaissés pour cause de fonds insuffisants », avance bcIMC.

La plaignante formule plusieurs reproches à Cinémas Guzzo. En plus de paiements qui avortent à cause de chèques sans provision, d’autres versements, lorsque l’entreprise est en mesure de les faire, ne comprennent pas les intérêts à verser en raison des retards. La patience du bailleur du Méga-Plex Marché Central atteint ses limites le 26 janvier dernier. C’est à ce moment qu’elle demande une saisie des biens de son locataire, dont un de ses comptes en banque, dans l’espoir de récupérer ce qui lui est dû. Cinéma Guzzo y échappe in extremis.

À la dernière minute, l’homme d’affaires québécois et son premier vice-président, Ilario Maiolo, réussissent à s’entendre avec l’huissier. En échange, le propriétaire de salles de cinéma finit par payer trois mois de loyer, soit pour les mois allant de novembre 2023 à janvier dernier.

Un autre rebondissement attend le propriétaire du Marché Central. Le 19 février dernier, Cinémas Guzzo lui remet six chèques pour acquitter différents mois de loyer. Une semaine plus tard, l’entreprise avise bcIMC de ne pas les encaisser pour « cause d’insuffisance de fonds ».

Les derniers mois semblent avoir eu l’effet de la goutte qui a fait déborder le vase. C’est dans sa requête amendée que la plaignante demande la résiliation du bail de Guzzo au Marché Central en plus de demander au tribunal de condamner son locataire à lui payer l’équivalent de 1,8 million pour les arriérés en souffrance.

Difficile à Montréal

« Leur nouvelle manière d’agir avec nous, c’est : toutes les fois qu’on est retard sur le loyer du mois, ils demandent une annulation de bail », soutient pour sa part Vincent Guzzo.

S’il assure que son entreprise n’est pas en difficulté financière, il reconnaît que ses trois établissements situés dans l’île de Montréal sont moins rentables que les autres. Taxes foncières élevées, grève des scénaristes et des acteurs hollywoodiens empêchant la sortie de films américains – encore plus populaires dans le marché montréalais – sont autant de facteurs qu’il a invoqués pour expliquer la situation. L’homme d’affaires assure par ailleurs entretenir de bonnes relations avec tous ses bailleurs… sauf au Marché Central.

« S’ils veulent qu’on s’en aille, on s’en ira », lance-t-il lorsqu’on le questionne sur la demande de résiliation de bail.

À quoi s’attend-il pour la suite des choses ? « Je n’en ai aucune idée. »

Cinémas Guzzo en bref

Fondation : 1974

Président-directeur général : Vincent Guzzo

Établissements : 10

Nombre de salles : environ 150

En savoir plus
  • 18
    Nombre de salles au Méga-Plex Marché Central
    Source : Cinémas guzzo
    2006
    Vincent Guzzo succède à son père, Angelo, à la barre de l’entreprise.
    Source : cinémas guzzo