(New York) Depuis plus d’un an, Felix Santiago travaille comme barista dans un Starbucks près de Times Square, et au début, il a adorait son travail. Il était facile de s’échanger les quarts de travail, facile d’en prendre de nouveaux, facile de s’entendre avec les superviseurs, qui étaient largement conciliants. « Les six premiers mois ont été absolument géniaux », disait récemment M. Santiago.

Son opinion a changé lorsque ses heures de travail ont été réduites en octobre, puis en janvier.

Au total, il est passé d’environ 31 heures par semaine à un peu moins de 24, soit une baisse de près de 25 %, et la diminution de salaire a été durement ressentie. Jongler avec son loyer, de 1000 $ US par mois (environ 1350 $ CAN) pour une chambre dans un appartement du Bronx, n’était plus possible, dit-il, et il a donc commencé à passer d’un canapé à l’autre, d’un ami à l’autre. C’est souvent ainsi que commence l’itinérance.

Début décembre, environ trois semaines après que M. Santiago, qui travaille toujours chez Starbucks, a déposé une plainte officielle auprès de la Ville, avec l’aide de la section locale 32BJ de l’Union internationale des employés de service, plusieurs autres travailleurs de Starbucks ayant des griefs similaires concernant l’approche incohérente de l’entreprise en matière d’horaires ont été invités à s’asseoir avec le maire Eric Adams à l’hôtel de ville. Quelques jours plus tard, le maire a publié sur les réseaux sociaux des photos de la réunion, témoignant ainsi de son soutien. « Je n’ai pas besoin de vous dire que les employés de Starbucks font bouger notre ville tous les matins », a-t-il écrit. « Leur ville les soutient dans leur lutte pour des conditions équitables et les droits des travailleurs. »

Mais qu’est-ce que cela signifie en pratique ? Depuis février dernier, le département de la Protection des consommateurs et des travailleurs, l’agence municipale chargée de faire respecter ces droits, a reçu 76 plaintes déposées par des employés de 56 succursales de la chaîne Starbucks, affirmant que l’entreprise avait violé à maintes reprises la loi sur la semaine de travail équitable de la ville. Dans l’ensemble, les plaignants allèguent que Starbucks ne leur a pas fourni d’horaires réguliers, que les heures ont été réduites sans explication raisonnable et que l’entreprise n’a pas affiché les quarts de travail à pourvoir pour les employés qui voudraient les prendre, préférant embaucher de nouveaux travailleurs.

Du mal à payer le loyer

Un autre barista, Jordan Roseman, qui travaille depuis trois ans dans un Starbucks du quartier financier, a vu le nombre de ses heures de travail passer de 20 à 15, voire 10, de sorte qu’il a du mal à payer le loyer, les factures et les autres dépenses de l’appartement qu’il partage avec son père.

Lorsque Roseman s’est inscrit au Starbucks College Achievement Plan, un programme d’études en ligne proposé par l’Université d’État de l’Arizona et un des avantages de son emploi, il s’est rendu compte qu’il ne travaillait pas assez d’heures pour y avoir droit. « Ç’a été un coup de massue », a-t-il déclaré. « Si mes heures de travail n’avaient pas été réduites, j’aurais été admissible à 100 %. » Il a déposé une première plainte en août et envisage d’en déposer une seconde.

Andrew Trull, porte-parole de Starbucks, assure que l’entreprise prend très au sérieux le respect de la réglementation. « Nous faisons tout notre possible et avons investi des ressources importantes pour nous assurer que les pratiques des partenaires en matière d’horaires sont conformes aux ordonnances de la Ville de New York sur la semaine de travail équitable et les ordonnances sur les motifs raisonnables », a-t-il écrit dans un courriel.

Pas assez d’efforts

Julie Menin, qui a dirigé le département de la Protection des consommateurs et des travailleurs au cours des premières années de l’administration de Blasio et qui préside aujourd’hui la commission du conseil municipal chargée de ces questions, estime que Starbucks n’a pas fait assez d’efforts pour se conformer à ces ordonnances. Mais ce qui l’inquiète tout autant, c’est la lenteur avec laquelle la Ville traite des plaintes comme celle de Santiago, qui restent en suspens pendant des mois à l’agence de protection des travailleurs.

« Ce qui me préoccupe, c’est le nombre et la nature des plaintes, ainsi que le nombre d’établissements concernés, dit-elle. Il s’agit d’une entreprise qui commet des violations généralisées. S’il y a jamais eu un cas qui justifie une action agressive à l’échelle de la ville, c’est bien celui de Starbucks. »

Dans un communiqué, Michael Lanza, porte-parole du département de la Protection des consommateurs et des travailleurs, assure que le bureau est « déterminé à protéger les travailleurs et à tenir les employeurs responsables du non-respect des lois de notre ville », mais affirme qu’il ne peut discuter des enquêtes en cours, dont « la portée et la complexité » varient énormément.

Si l’inégalité marque toujours la vie à New York, la ville reste à l’avant-garde en matière de législation progressiste sur le lieu de travail, comblant les lacunes de la législation fédérale et apportant ce que beaucoup d’autres villes ne font pas. Mise en œuvre en 2017 et élargie quatre ans plus tard, la Loi sur la semaine de travail équitable vise à protéger les travailleurs de la restauration rapide contre diverses formes d’exploitation en insistant sur l’importance d’avoir des horaires prévisibles et de pouvoir travailler plus d’heures si on le désire, et en interdisant une réduction de plus de 15 % du nombre d’heures sans motif raisonnable ou tout autre motif économique légitime. Le revenu net de Starbucks s’est élevé à plus de 4 milliards US en 2023, soit une augmentation de 26 % par rapport à l’année précédente.

Autrefois simple département de la consommation, l’agence a vu sa mission élargie pour inclure la protection des travailleurs en 2016 dans le but d’améliorer « la vie économique quotidienne des New-Yorkais afin de créer des collectivités florissantes ». Des succès majeurs ont été enregistrés, dont le plus récent a été annoncé le mois dernier : un règlement avec six entreprises, dont Taco Bell, White Castle et Domino’s Pizza, pour des violations qui ont touché plus de 3500 travailleurs. Les entreprises ont été contraintes de payer en tout 2,7 millions US en dédommagement (environ 3,5 millions CAN) et 343 000 $ US en pénalités (environ 463 000 $ CAN).

C’est peut-être parce que Starbucks a émergé de Seattle dans les années 1970 comme le précurseur d’une nouvelle contre-culture d’entreprise qu’il est devenu un paratonnerre de polémique, contrairement à Taco Bell, par exemple, devenant le symbole de l’embourgeoisement débridé, de l’excès de consommation libérale, de l’hypocrisie de la haute société.

Ce qu’une agence municipale – fût-elle très auguste et importante – fera ou ne fera pas face à un vaste effort de syndicalisation et à d’éventuels boycottages n’a peut-être pas tant d’importance. La semaine dernière, des étudiants de l’Université de New York ont remis au président une pétition exigeant que l’établissement mette fin à son accord de licence avec Starbucks. Des pétitions similaires ont été distribuées dans 25 autres campus universitaires du pays, et ce, au cours d’une semaine où Workers United a syndiqué un nombre record de 21 établissements en une seule journée. À ce moment-là, la centrale syndicale avait déjà remporté des victoires dans 386 établissements.

Cet article a été publié à l’origine dans le New York Times.

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