Elon Musk, le PDG et le visage de Tesla, fait constamment la manchette et diffuse ses opinions sur X, qui lui appartient. Mais le constructeur de voitures électriques a un autre dirigeant, qu’on ne voit pas beaucoup.

Depuis 2018, le conseil d’administration de Tesla est dirigé par Robyn Denholm, une cadre du secteur techno qui s’exprime rarement en public hors de son Australie natale, et qui ne publie presque rien sur X.

Pour certains analystes et investisseurs, Mme Denholm est « l’adulte dans la pièce » qui a aidé M. Musk à faire croître la capitalisation boursière de Tesla. Mais pour ses détracteurs, elle a échoué dans sa tâche la plus importante : contrôler Elon Musk.

« Approche nonchalante »

Le 30 janvier, une juge du Delaware a vivement critiqué Mme Denholm tout en annulant le plan de rémunération de M. Musk adopté en 2018, qui dépassait 50 milliards de dollars. Mme Denholm a adopté une « approche nonchalante de ses obligations de surveillance » chez Tesla, a écrit la juge Kathaleen McCormick.

PHOTO AMIR HAMJA, THE NEW YORK TIMES

Dans un jugement, une juge affirme qu’Elon Musk agit comme s’il n’avait pas de comptes à rendre au conseil d’administration de Tesla et critique l’approche nonchalante de la présidente du conseil, Robyn Denholm.

La juge a aussi mis en doute l’indépendance de Mme Denholm face à M. Musk, soulignant que son poste lui a valu une rémunération de 280 millions. En 2023, Mme Denholm a déclaré en cour que cette rémunération avait « changé sa vie ». Sa rémunération dépasse de loin celle de ses pairs, comme les présidents des conseils d’administration d’Apple et Alphabet, société mère de Google.

Musk agit comme s’il n’avait pas de comptes à rendre au conseil.

La juge Kathaleen McCormick, dans un jugement en cour du Delaware

M. Musk s’est insurgé contre ce jugement : il entend demander aux actionnaires d’autoriser Tesla à transférer son incorporation au Texas, où se trouve le siège social de Tesla. Le jugement de la cour du Delaware précise que le conseil de Tesla doit réviser la rémunération de M. Musk.

Le mois dernier, deux semaines avant le jugement, M. Musk avait exigé que le conseil augmente considérablement ses pouvoirs si Tesla voulait qu’il continue à développer des produits basés sur l’intelligence artificielle. M. Musk détient environ 13 % des actions de Tesla et souhaite obtenir des droits de vote équivalant à au moins 25 % des actions.

Mme Denholm jouera un rôle clé dans toute décision visant à déménager l’incorporation de Tesla et dans les négociations avec M. Musk sur sa rémunération et ses pouvoirs. Elle n’a fait aucune déclaration à ce sujet et n’a pas répondu à une demande d’entrevue.

Mme Denholm a passé plus de 40 ans à des postes opérationnels et financiers dans de grandes sociétés en Australie et aux États-Unis. Elle a la réputation d’être calme et discrète, et de savoir quand prendre des risques calculés. En tant que directrice financière de Juniper Networks, par exemple, elle a résisté aux pressions de Wall Street, qui exigeait des licenciements et une réduction des dépenses. Elle a défendu la décision d’investir dans la recherche et le développement. Cette stratégie a porté ses fruits, disent certains analystes.

« Elle est très terre à terre, très indépendante d’esprit, elle marche droit et c’est un personnage très détendu », dit Pierre Ferragu, associé chez New Street Research, qui a couvert Mme Denholm chez Juniper. « Je ne pense pas qu’il existe une meilleure personne pour ce poste très particulier » chez Tesla.

Le plus grand risque de toute sa vie est peut-être d’avoir accepté d’aller chez Tesla.

Lors d’une allocution en 2022 à Sydney, Mme Denholm a dit que des amis lui avaient déconseillé d’accepter l’offre de M. Musk, forcé en 2018 par la Securities and Exchange Commission (SEC) de céder la présidence du conseil d’administration. La SEC avait reproché à M. Musk d’avoir affirmé sur Twitter avoir obtenu le financement nécessaire pour privatiser Tesla alors que son projet était embryonnaire.

De Telstra à Tesla

Ses amis l’avaient prévenue qu’elle s’embarquait dans une entreprise « non rentable, à l’époque, et dont le fondateur est toujours à contre-courant », avait dit Mme Denholm, citée par les médias locaux. Elle a d’abord refusé, selon des documents juridiques, mais il a insisté, et elle a fini par dire oui, démissionnant de son poste de directrice financière chez Telstra, une société australienne de télécommunications.

Mme Denholm ne connaissait pas M. Musk avant 2014 quand un membre du conseil d’administration de Tesla l’a abordée.

Depuis, elle a loué la vision, la discipline et la résilience de M. Musk lors d’entrevues, mais pour l’essentiel, elle évite de parler de lui ou de ses commentaires excentriques sur X.

Selon Conor Wynn, expert en décisions d’entreprise à l’Université Monash de Melbourne, en Australie, M. Musk a peut-être choisi Mme Denholm parce qu’elle est très différente de lui et qu’elle possède des compétences qu’il n’a pas.

Avoir un génie fou hypercréatif comme PDG ne suffit pas. Il faut aussi quelqu’un qui sait traduire ces idées en actions, qui a une bonne approche avec les gens et qui fait avancer les projets.

Conor Wynn, expert en décisions d’entreprise à l’Université Monash de Melbourne

Mais d’autres experts estiment que ce rôle complémentaire n’est qu’une partie de la tâche de Mme Denholm. En tant que présidente du conseil, elle a le devoir de superviser le PDG et d’agir dans l’intérêt de tous les actionnaires de Tesla.

Mme Denholm risque d’avoir encore plus de pain sur la planche cette année. Outre l’incorporation éventuelle de Tesla au Texas et son PDG qui réclame plus de pouvoir, l’action de Tesla a chuté d’environ 24 % cette année parce que les investisseurs s’inquiètent du ralentissement des ventes et de l’effondrement des bénéfices.

Cet article a été publié dans le New York Times.

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