Les réseaux sociaux, notamment Facebook, Instagram et TikTok, posent un douloureux dilemme aux entreprises. Outils de marketing indispensables pour certaines sociétés, ces plateformes peuvent être piratées, peuvent modifier sans prévenir leurs conditions, multiplier par 4 ou 20 leurs tarifs ou carrément fermer les comptes. Le risque en vaut-il la chandelle ? Quelques conseils pour réduire sa dépendance aux réseaux sociaux.

Kenza Bouchard, cofondatrice et copropriétaire de la boutique de bijoux en ligne Ken & Jame, a connu un automne pour le moins exécrable. Les comptes Facebook et Instagram de son entreprise ont été piratés le 24 septembre et elle s’est démenée pendant six semaines, avec très peu de collaboration des réseaux sociaux, pour retrouver les accès. « J’ai perdu 70 % de mes ventes, ça m’a coûté au bas mot 80 000 $ », raconte-t-elle.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Kenza Bouchard (au premier plan) et Jamie Fortin, copropriétaires de Ken & Jame, une boutique de bijoux en ligne, se sont fait pirater leurs comptes Facebook et Instagram pendant six semaines cet automne.

Depuis 2016, « 98 % des ventes » de Ken & Jame passent par les réseaux sociaux Facebook et Instagram, précise-t-elle. Quand une de ses employées a vu son compte personnel piraté, le problème s’est transposé aux comptes de l’entreprise, auxquels elle avait accès. Plus moyen de mettre à jour le site ou de boucler les transactions avec les clients, qui étaient redirigés vers un site bidon lié au cyberpirate. Meta, propriétaire de Facebook et Instagram, n’a été d’aucune aide.

Ils ne voulaient rien faire, pas de soutien : ils nous soupçonnaient d’avoir participé à la fraude.

Kenza Bouchard, copropriétaire de Ken & Jame

« J’ai dû engager un “hacker blanc”, un gentil hacker qui a pu me redonner les accès pour 2500 $. Ce n’est pas normal que tu mettes 100, 200, 300 000 $ de publicité par année et qu’on te réponde “Tant pis !” quand tu te fais hacker. »

Fermé sans raison

Marilyne Bouchard, fondatrice et PDG de BKIND, a également eu des sueurs froides avec ces deux réseaux sociaux, bien que ses mésaventures soient moins dramatiques. L’entreprise qui offre des produits de soins corporels naturels utilise « énormément » Instagram depuis 2014. Elle y compte 88 000 abonnés qui ont eu droit à 1816 publications, parfois promotionnelles, plus souvent informatives ou tout simplement rigolotes sur la livraison, les techniques ou les effets des produits.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Facebook a bloqué trois fois les comptes de BKIND, l’entreprise de Marilyne Bouchard, sans raison évidente.

Elle investit en parallèle des centaines de milliers de dollars par année en publicité sur Facebook. Ce qui n’a pas empêché le réseau social de lui fermer ses accès trois fois, apparemment sans raison. « Un mois avant qu’on ouvre la boutique, en 2019, Facebook a décidé de bloquer notre compte, on ne pouvait plus rien publier, raconte Mme Bouchard. J’en ai pleuré. » Ce blocage était déjà survenu à deux reprises, « pour rien ». « Ils te prennent pour quelqu’un d’autre, je ne sais pas, c’est leur algorithme. Il faut que tu prouves que tu n’es pas quelqu’un d’autre, et ils ont des délais qui peuvent aller jusqu’à six semaines. »

Tu as beau dépenser 200 000 $ de pub par année, ils n’ont pas de service à la clientèle. Ça m’a un peu traumatisée.

Marilyne Bouchard, fondatrice et PDG de BKIND

Maryline Bouchard mise sur sa boutique ouverte dans le Mile End, à Montréal, sur les transactions sur son propre site ainsi que sur l’envoi d’infolettres pour moins dépendre des réseaux sociaux. « On n’a pas mis tous nos œufs dans le même panier, ce serait extrêmement dommageable. » Chez Ken & Jame, on met un peu d’espoir sur la toute nouvelle boutique aux Promenades St-Bruno. « La boutique est un essai, ce n’est pas une direction que je veux nécessairement emprunter, les frais sont exorbitants », précise Kenza Bouchard.

Invité à expliquer les mésaventures de Ken & Jame et BKIND, Meta a annoncé, via son porte-parole québécois, ne pas avoir de commentaire à faire à ce sujet.

Le modèle est similaire chez Sushi à la maison, qui offre des services de chef à domicile, de livraisons et de vente à huit comptoirs dans la province. Sa fondatrice, Geneviève Everell, affirme d’entrée de jeu « ne jurer que par les médias sociaux ». « C’est ce qui m’a fait naître. »

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Geneviève Everell, fondatrice et PDG de Sushi à la maison

Mais avec des comptoirs, un site transactionnel et des infolettres, elle se dit consciente de l’importance de « travailler d’une autre manière » pour réduire sa dépendance aux réseaux sociaux. « Pour notre génération, c’est acquis, on a l’impression que c’est là pour toujours. Mais je vois que mon fils de 7 ans a zéro intérêt pour les médias sociaux. On a une génération qui va être moins axée sur ces plateformes. »

Tarifs publicitaires surprises

Arriver à faire sortir sa communauté du réseau social pour l’attirer vers son propre site ou sa boutique est « le Graal, l’objectif absolu », confirme Virgile Ollivier, PDG de Livescale, qui propose aux entreprises des stratégies de marketing et de vente en ligne.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Virgile Ollivier, PDG de Livescale, qui propose aux entreprises des stratégies de marketing et de vente en ligne

Toutes les marques aujourd’hui ont ce défi de faire sortir les gens des réseaux sociaux.

Virgile Ollivier, PDG de Livescale

« Sur mon site, j’ai beaucoup plus de données sur eux, j’en donne beaucoup moins aux réseaux sociaux qui s’en servent pour la monétisation. »

Il suggère par ailleurs à ses clients de diversifier les plateformes publicitaires. « On va proposer des compléments. Plutôt que de mettre 100 % de la publicité sur les réseaux sociaux, n’en mettre que 70 % et allouer une partie du budget sur des expériences d’achat qui vont permettre de se différencier. »

Pourquoi diminuer cette dépendance ? M. Ollivier note que les tarifs pratiqués par les réseaux sociaux ont explosé après un creux au début de la pandémie. Marilyne Bouchard, de BKIND, estime par exemple que cela lui coûtait 5 $ en investissement dans les réseaux sociaux en 2020 pour obtenir une vente. Ce « coût d’acquisition » a été multiplié par 20 dans la dernière année.

« Au début de la pandémie, les coûts étaient tellement bas, on n’avait jamais vu ça : on avait tellement de commandes que j’ai dit aux gars de la pub d’arrêter d’en acheter, résume Marilyne Bouchard. À un moment donné, c’est passé à 100 $. L’algorithme change beaucoup, je ne sais pas comment c’est calculé. C’est difficile de prévoir ses budgets publicitaires. »

Autre exemple rapporté par M. Ollivier : TikTok, perçu comme l’eldorado pour accéder aux jeunes, interdit dorénavant à ses utilisateurs d’ajouter des liens vers des transactions à l’extérieur de la plateforme.

Les entreprises, convient-il, arrivent « plus ou moins bien » à se libérer des réseaux sociaux. « Il y a de très grandes entreprises qui arrivent à récupérer 30 % de leur audience, avec 70 % dans les réseaux sociaux. C’est un combat au quotidien. »

Réduire sa dépendance en cinq conseils

  • Attirer le plus possible ses clients vers son propre site, en le rendant plus attirant, en y affichant des exclusivités et des rabais.
  • Diversifier son placement publicitaire en utilisant le plus de supports (internet, imprimé, télévision, radio, affichage) possible.
  • Utiliser ses propres services pour bâtir une base de données de sa clientèle, qu’on pourra ensuite contacter directement par infolettres, courriels ou textos.
  • En apprendre plus sur sa clientèle, en recourant à des sondages, à des questionnaires sur son site ou à ses boutiques, et baser ses stratégies d’affaires sur ces données.
  • Au-delà des stratégies, peaufiner sa réputation avec un service à la clientèle impeccable et des produits qui se démarquent.
En savoir plus
  • 3,16 milliards US
    Revenus de Meta au Canada en 2021
    GlobalData, rapport annuel meta 2022