Même s’il a dit qu’il ne fera « jamais » le saut en politique, le grand patron de la Banque Nationale s’est aventuré sur ce territoire en critiquant les milliards accordés à la filière batterie et en affirmant que Québec s’était « fait mal » avec la « loi 96 ».

Au sujet des subventions, Ottawa et Québec devraient soutenir les entreprises canadiennes avant de donner des subventions aux entreprises étrangères pour développer la filière batterie, plaide Laurent Ferreira.

Le président et chef de la direction de la Banque Nationale n’est « pas un grand fan des subventions pour attirer des entreprises étrangères au pays ». Il a fait connaître son opinion devant 1300 personnes du milieu des affaires lors d’une allocution, jeudi, devant la Chambre de commerce du Montréal métropolitain (CCMM).

« À long terme, je ne pense pas que c’est une bonne idée de taxer plus les entreprises canadiennes et de donner des subventions à Stellantis et Volkswagen », tranche-t-il.

Le président et chef de la direction de la Chambre, Michel Leblanc, a semblé surpris par les commentaires de son invité. Il a mentionné que ce genre d’intervention gouvernementale bénéficiait d’un certain appui au sein de la communauté d’affaires.

D’un ton badin, M. Leblanc a toutefois souligné que les deux projets cités étaient en Ontario. « OK, celles-là sont en Ontario, je suis bien d’accord avec toi », a-t-il dit, provoquant un rire dans la salle.

En entrevue en marge de son allocution, M. Ferreira a précisé que ce commentaire était également valable pour les subventions à la filière batterie déployées au Québec.

Le fédéral et Québec devraient plutôt privilégier le soutien aux entreprises canadiennes, estime l’homme d’affaires. « Mon point là-dessus, c’est que quand on donne des subventions aux compagnies étrangères, c’est qu’elles vont directement dans la poche des actionnaires étrangers qui ne sont principalement pas canadiens. Je doute de ce modèle, à plus long terme, dans la création de richesse. »

Il ajoute que l’économie canadienne a besoin de davantage d’investissements au Canada. Il fait référence à un commentaire de son économiste en chef, Stéfane Marion, qui a fait une présentation dans le cadre du même évènement, selon lequel les grands régimes de retraite canadiens n’investissaient pas suffisamment au Canada.

L’intervention de M. Ferreira survient au moment où les gouvernements déploient des milliards de dollars pour attirer des entreprises étrangères dans la filière batterie.

Le Canada pourrait consacrer près de 13 milliards au projet de Volkswagen, qui veut construire une usine de batteries pour véhicules électriques à St. Thomas en Ontario. L’aide à Stellantis pourrait atteindre 15 milliards pour son usine de batteries de Windsor.

Le Québec n’est pas en reste. Ottawa et Québec ont accordé une aide de 640 millions pour l’usine de Ford à Bécancour. Celle de GM-Posco, pour sa part, a profité d’un soutien de près de 300 millions des deux ordres de gouvernement.

Le gouvernement Legault serait sur le point d’officialiser la construction d’un projet du fabricant de cellules suédois Northvolt dans la Vallée-du-Richelieu et une importante aide budgétaire est anticipée.

Le premier ministre François Legault a défendu l’approche de son gouvernement au début du mois de septembre. « Chaque fois que le gouvernement donne de l’aide à une entreprise, on s’assure que les retombées pour les Québécois excèdent ce montant d’aide. Il faut comprendre que le secteur manufacturier, son repositionnement est en train de se jouer actuellement. De penser que ça serait une bonne idée de ne rien faire et d’attendre, je pense que ça serait une erreur. »

La « loi 96 » fait mal

M. Ferreira s’est aussi aventuré sur un autre terrain politique. Au cours de son allocution, il a déclaré qu’il était important de protéger le français, mais que le contexte réglementaire était « difficile ».

Questionné sur le sujet, il a été plus explicite en entrevue. « Je faisais référence, surtout, je dirais, au contexte réglementaire que 96 impose aux entreprises », répond-il.

La Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français, ou « loi 96 », « a fait peur » dans le milieu des affaires, juge le banquier francophone. « On s’est fait mal. »

M. Ferreira affirme qu’il est en accord avec l’objectif de protéger la langue française, « un joyau ». « Mon point, ce n’est pas que [la loi] 96 est une mauvaise chose, nuance-t-il. Ce n’est pas ça du tout, c’est l’approche qu’on a prise [qui pose problème].

« On apporte un niveau de complexité pour les entreprises au Québec, vis-à-vis du reste des entreprises en Amérique du Nord, plutôt que de trouver une façon d’attirer du talent et de dire qu’au Québec on veut grandir, on veut en faire plus ensemble. On a fait peur aux talents et aux capitaux. »