Le studio indépendant montréalais Dynasty Loop, fondé par l’entrepreneure Rania Oueslati en 2020, semblait prometteur. Un jeu AAA, un père milliardaire en appui et un contrat de 50 millions avec Microsoft ont convaincu une vingtaine d’artisans du jeu vidéo, dont des vétérans recherchés, à embarquer dans l’aventure. Elle s’est transformée en cauchemar depuis octobre 2022, allèguent quatre d’entre eux.

Accusant Mme Oueslati d’avoir multiplié les mensonges, ils ont déposé le 21 mars dernier une poursuite réclamant 518 822,32 $ en salaires, primes et dépenses impayés. Ils ajoutent à cette réclamation 120 000 $ en dommages et intérêts et dommages punitifs.

Cette requête n’a pas encore passé le test des tribunaux et les dates d’audience ne sont pas encore déterminées. Les demandes de commentaires de La Presse auprès de Mme Oueslati sont restées lettre morte. Son avocat a demandé à ne pas être nommé. « Je n’ai rien à dire et ne suis pas impliqué dans cette situation », a-t-il écrit.

Contactés, trois des quatre ex-employés ont décliné les demandes d’entrevue, expliquant qu’un processus judiciaire était en cours.

Jeu et jetons non fongibles

Julie Anne Doyon, Dany Joannette, Frédérick Audet et François Émery, entrés chez Dynasty Loop entre avril 2022 et janvier 2023 pour la conception d’un jeu vidéo appelé Nocturne, croyaient avoir trouvé une combinaison rare dans cette industrie : un studio indépendant voulant lancer un jeu de haut calibre, un « AAA », et disposant d’un budget assuré de plusieurs millions de dollars.

La fondatrice de Dynasty Loop, Rania Oueslati, « se présente comme une jeune femme d’affaires fortunée […] dont le père est milliardaire et qui détient un réseau de contacts influents », peut-on lire dans la requête.

Quand le directeur créatif François Émery, embauché en avril 2022, demande d’où viendront les fonds, Mme Oueslati lui assure « avoir des fonds liquides disponibles de plusieurs millions de dollars, provenant notamment d’un contrat de 50 millions entre Dynasty Loop et Microsoft ».

Le studio de jeu vidéo serait également impliqué dans un projet de jetons non fongibles (NFT), Nekton. Frédérick Audet, producteur sénior qui a 14 ans d’expérience chez Ubisoft, se joint à son tour à l’équipe en août 2022. Les choses commencent à se gâter en octobre, selon ce qu’on lit dans la requête.

Le 18 octobre, un consultant, Mickael Lelièvre, révèle à M. Audet qu’il n’a pas été payé depuis plusieurs mois. Le 21 octobre, les salaires ne sont pas versés aux employés. Certains le seront plus tard par virement bancaire ou par chèque, sans l’émission de relevés de paie. Certains chèques ne peuvent être encaissés, faute de provisions sur le compte bancaire de Dynasty Loop.

En outre, des factures de sous-traitants ne sont pas réglées. Questionnée sur ces problèmes, « Mme Oueslati fournit des explications évasives, mentionne un problème de liaison entre la plateforme de paie et le compte bancaire de l’entreprise, mais maintient que l’entreprise est en bonne santé financière », peut-on lire.

Nouvel actionnaire mystère

Suivent « plusieurs incidents ponctuels » quelque peu abracadabrants qui sèment encore plus le doute dans l’esprit des employés. Une adjointe administrative doit se rendre aux États-Unis pour récupérer un chèque produit par Microsoft. « L’enveloppe aurait soi-disant été interceptée par les douaniers et [l’adjointe] aurait alors constaté que le chèque ne provenait pas de Microsoft, mais de M. Alex [un des investisseurs de Dynasty Loop]. »

En décembre, Mme Oueslati admet finalement que Dynasty Loop fait face à des difficultés financières. Les salaires sont versés de façon chaotique, les espaces de travail et le réseau informatique ne sont soudainement plus disponibles, mais les quatre employés « continuent de fournir leur prestation de travail, malgré l’absence de rémunération ».

Un nouvel actionnaire, Joan Rosa Lura, « dont les demandeurs n’ont jamais entendu parler auparavant », figure effectivement maintenant comme actionnaire majoritaire au Registraire des entreprises du Québec.

« Mme Oueslati fournit des explications contradictoires et invraisemblables pour tenter de justifier la situation », relate la requête.

Saisie demandée

Les quatre employés à l’origine de la poursuite ont quitté Dynasty Loop les 14 et 19 mars dernier. Frédérick Audet est celui qui réclame la plus grande somme au total, soit 211 785,35 $, suivi de Dany Joannette (188 308,73 $) et François Émery (174 021,01 $).

Étant donné que Rania Oueslati a maintes fois menacé de liquider le studio et de retourner dans son pays natal, la Tunisie, ils demandent également une saisie avant jugement sur le compte bancaire de Dynasty Loop.

L’entreprise elle-même semble inactive, son site principal dynastyloop.com ne répondant plus. Sur LinkedIn, des employés s’affichent toujours comme faisant partie du studio. Contactée, une employée qui souhaite garder l’anonymat a expliqué ne pas avoir été payée depuis le 3 janvier et être en quête d’un nouvel emploi. « Rania ne m’a jamais virée ni officiellement licenciée, ajoute-t-elle. Elle ne répond pas non plus aux courriels. »