Le quincaillier américain Lowe’s vend ses activités canadiennes (Rona, Réno-Dépôt, Dick’s Lumber, etc.) à une firme d’investissement new-yorkaise pour 400 millions US et un montant fondé sur le rendement.

L’acquéreur est Sycamore Partners, une firme spécialisée dans le commerce de détail, la consommation et la distribution qui s’associe à des équipes de direction pour améliorer la rentabilité et la valeur de leur entreprise.

« Nous avons hâte de nous joindre à Sycamore, qui connaît et comprend le marché canadien, et qui détient également Bureau en gros/Staples Canada », a écrit le président de Lowe’s Canada, Tony Cioffi, dans une lettre adressée aux marchands Rona.

Les activités canadiennes vendues par Lowe’s comptent 450 magasins d’entreprise et magasins affiliés indépendants.

« J’aurais aimé que ce soit vendu à des Québécois, mais le mal a été fait en 2016 », a réagi en soirée le ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie, Pierre Fitzgibbon, en marge d’un gala organisé par la Chambre de commerce du Montréal métropolitain. « Ceci dit, Sycamore, ce sont des gens qui ont un horizon de cinq à sept ans. Notre rôle, c’est de travailler avec des Québécois pour être prêts quand eux seront prêts à revendre. »

Lowe’s avait payé 2,3 milliards US en 2016 (3,2 milliards CAN au taux de change de l’époque) pour acheter Rona.

La direction de Lowe’s soutient que cette décision simplifiera son modèle d’affaires, mais surtout que cette transaction devrait soulager ses marges bénéficiaires.

« Bien que cette entreprise représente environ 7 % de nos perspectives de chiffre d’affaires pour l’ensemble de 2022, elle représente également une dilution d’environ 60 points de base de nos perspectives de marge d’exploitation pour l’ensemble de 2022 », a déclaré par communiqué le grand patron de Lowe’s, Marvin R. Ellison.

« Tout ça pour ça »

Lowe’s prévoit maintenant radier 2 milliards US de ses actifs en lien avec ses activités de détail canadiennes dans ses prochains résultats trimestriels.

Après que l’entreprise a fermé des magasins, effectué des mises à pied au siège social de Boucherville et dévalué la valeur de ses actifs canadiens au fil des ans, la rentabilité de ses activités canadiennes a continué de décevoir.

Lowe’s avait travaillé fort pour acquérir Rona il y a six ans. L’entreprise américaine avait d’abord essuyé un refus avec une offre d’achat en 2012.

La dévaluation du dollar canadien par rapport au dollar américain quelques années plus tard avait permis à Lowe’s de revenir avec une offre plus alléchante pour conclure une transaction.

« Tout ça pour ça ! », lance Louis Hébert, professeur à HEC Montréal. « Toute cette saga de la vente de Rona pour que l’entreprise se retrouve propriété d’une firme d’investissement de New York. »

Si quelqu’un a gagné quelque chose dans cette histoire, ce sont d’abord les actionnaires de Rona qui ont vendu à bon prix en 2016, mais aussi le nouvel acquéreur qui vient de racheter l’entreprise pour une fraction de sa valeur, souligne Louis Hébert.

Ça va être un exemple d’une acquisition mal conçue et d’un projet stratégique qui ne tenait pas la route dès 2016 et dont les actionnaires de Lowe’s auront fait les frais.

Louis Hébert, professeur à HEC Montréal

Au moment de la transaction en 2016, il y avait eu un questionnement entourant la rationalité stratégique de l’acquisition, poursuit le professeur. « Lowe’s en ressort finalement avec des pertes significatives. »

Une période d’incertitude débute maintenant chez Rona.

« Il pourrait y avoir des décisions difficiles qui s’en viennent », croit Louis Hébert. Les firmes privées ont souvent des fenêtres d’investissement de cinq à huit ans.

« L’objectif de Sycamore n’est sans doute pas d’exploiter Rona pour toujours. Rona sera revendue. Qu’arrivera-t-il aux activités de Rona d’ici à la revente ? Il faut espérer que l’envergure de l’entreprise ne souffrira pas de cette instabilité au niveau de sa gouvernance. »

« Sycamore appuie la mise en œuvre de notre plan de croissance actuel, tout en continuant à chercher des occasions de mieux servir les consommateurs et la clientèle pro partout au Canada, ainsi que d’accélérer la croissance de l’entreprise », écrit aussi M. Cioffi dans sa lettre aux marchands.

« L’enseigne Lowe’s sera éventuellement convertie à celle de Rona, et ce, de manière à minimiser l’impact sur les opérations. Nous continuerons à soutenir les marques privées de Lowe’s au Canada. De plus, sous la propriété de Sycamore, nous maintiendrons un engagement ferme envers nos fournisseurs canadiens et québécois, notamment en continuant à participer à l’initiative Bien fait ici qui vise à encourager l’achat de produits de qualité fabriqués au Canada. »

Sécuriser les emplois

« C’est clair que l’annonce de la vente nous inquiète », commente de son côté Antonio Filato, président du Conseil provincial des TUAC au Québec et président des TUAC 500.

« Mais ce n’est pas la première fois que nous aurons à faire face à cette situation. Notre priorité sera toujours de sécuriser et de stabiliser les emplois de nos 3000 membres répartis dans 32 quincailleries au Québec. La prochaine étape pour nous sera de rencontrer les nouveaux propriétaires et de nous assurer que les conventions collectives seront respectées », ajoute-t-il.

La clôture de l’opération devrait avoir lieu au début de 2023. Établie à Mooresville, en Caroline du Nord, Lowe’s a généré un chiffre d’affaires supérieur à 96 milliards US pour l’exercice 2021. Cette entreprise vaut plus de 111 milliards US à la Bourse de New York. Rona a été fondée en 1939.

Avec Marie-Eve Fournier, La Presse