Des détaillants se lancent dans la gestion de la vente de leurs articles de seconde main

« La réalité, c’est que si vous ne vous occupez pas de votre seconde main, une autre entreprise va le faire à votre place », lance sans détour Andréanne Marquis, propriétaire des boutiques de vêtements pour femmes Womance.

Devant la multiplication des sites de revente d’articles de seconde main, des détaillants québécois, qui voyaient leurs vêtements déjà portés affichés sur d’autres plateformes, ont décidé de « prendre en charge » ce marché. Womance et Souris Mini ont toutes deux mis en place, sur leur site internet, des plateformes permettant à leurs clients d’acheter et de revendre des articles de seconde main provenant de leur propre marque. Cette pratique – qui pourrait se répandre – est extrêmement profitable pour les détaillants, estime Myriam Brouard, professeure de marketing à l’Université d’Ottawa. Et déjà, des organismes s’inquiètent de voir leurs dons diminuer au profit de la revente.

C’est en tentant, en vain, d’accrocher un cintre dans son placard plein à craquer que la propriétaire des boutiques de vêtements Womance, dont le siège social est situé à Québec, a eu cette idée. « Je me suis dit que si j’avais ce problème-là, celui d’avoir trop de vêtements, les clientes devaient l’avoir aussi. » Mme Marquis voulait ainsi donner l’occasion aux consommatrices de faire le tri dans leur garde-robe avant de faire de nouveaux achats.

photo patrice laroche, archives le soleil

Andréanne Marquis, propriétaire des boutiques de vêtements pour femmes Womance

« On est vraiment dans un monde de surconsommation. Je ne me mets pas la tête dans le sable, reconnaît-elle. J’y contribue en créant de nouveaux vêtements et en suivant la mode. »

Souris Mini, entreprise spécialisée dans les vêtements pour enfants, a aussi mis à la disposition de ses clients un lieu virtuel afin qu’ils puissent acheter ou vendre des chandails, pantalons ou autres habits de neige de seconde main provenant de ses boutiques.

Également dans la mode pour enfant, Clément n’écarte pas la possibilité de se lancer aussi dans l’aventure. « Ç’a toujours été quelque chose qu’on avait en tête, assure le directeur général, Jean-Philippe Clément. C’est sûr et certain que ça peut valoir la peine. Mais il faut vraiment s’assurer qu’on est solide sur le plan technologique, avoir un site web qui fonctionne bien pour ça. »

Outre l’aspect environnemental ou économique, alors qu’en ces temps inflationnistes les consommateurs veulent acheter à moindre coût, cette prise en charge des vêtements de seconde main par les détaillants eux-mêmes est aussi une façon de garder les clients dans leur giron.

« Souris Mini est une marque qui se vend beaucoup sur d’autres marchés », souligne la propriétaire de l’entreprise qui compte 19 magasins, Annie Bellavance. « Ce qu’on veut faire, c’est retrouver ces vêtements-là sur notre plateforme à nous. On veut ramener les gens chez nous. »

Photo Hugo-Sébastien AUBERT, archives LA PRESSE

Annie Bellavance, propriétaire de Souris Mini

Avec ce lieu d’échange, mis en place il y a plus d’un mois, « il va y avoir plus de monde sur notre site », souligne Mme Bellavance.

Stimuler la vente de vêtements neufs

Par ailleurs, le fait d’agir comme facilitateur dans les transactions a pour but de stimuler les ventes des nouvelles collections. Les gens qui vendent les vêtements usagés de leurs enfants sur la plateforme de Souris Mini reçoivent leur paiement sous forme de carte-cadeau que l’entreprise bonifie de 10 %. Jusqu’à maintenant, quelque 800 personnes ont mis en ligne leurs articles.

Du côté de Womance, une cliente qui affiche ses vêtements usagés reçoit elle aussi l’équivalent de sa vente en carte-cadeau, qu’il est possible ensuite d’utiliser pour acheter des articles neufs ou d’occasion dans les boutiques de Mme Marquis.

La cliente qui veut vraiment avoir de l’argent va aller vendre ses vêtements sur d’autres plateformes.

Andréanne Marquis

« On voulait faire en sorte que notre clientèle reste avec nous, qu’elle y trouve son compte », ajoute-t-elle. En un an, de février 2021 à février 2022, le site a attiré 2500 personnes et généré 3700 commandes. Fondée il y a sept ans, Womance, qui vendait au départ exclusivement en ligne, compte maintenant deux magasins physiques.

« Mais c’est beaucoup plus payant de vendre un vêtement neuf que de faire vendre un vêtement usagé », tient toutefois à souligner Andréanne Marquis.

Une solution payante

Or, Myriam Brouard affirme de son côté que cette prise en charge des vêtements déjà portés représente une excellente occasion d’affaires pour les détaillants. « C’est super payant de faire ça, soutient-elle. Il n’y a que des avantages pour eux. Ils donnent la chance aux consommateurs de se réengager avec la marque, parce qu’ils doivent aller sur leur site. Et quand les clients vendent, près de 80 % des détaillants leur donnent un crédit pour acheter plus de leur marchandise. Et ensuite, ces gens-là, dans bien des cas, vont acheter trois fois la valeur du crédit. »

Ce côté « mercantile », Anne Lespérance, propriétaire de la boutique Belle et Rebelle, à Montréal, le dénonce. Celle-ci a mis sur pied un groupe Facebook – qui n’est pas lié au site transactionnel de son magasin –, où les consommatrices peuvent vendre ou acheter des créations québécoises comme celles d’Ève Gravel, Annie 50, Cokluch ou encore Josiane Perron. Les utilisatrices qui y vendent leurs vêtements n’obtiennent aucun rabais ou cadeau pour ensuite aller magasiner chez Belle et Rebelle.

« L’idée, c’est de donner une occasion de porter des créations locales à celles qui n’en ont pas les moyens, affirme Mme Lespérance. Il n’y a pas ce côté mercantile. Il n’y a pas de business là-dedans. »

Diminution des dons

Par ailleurs, ce marché de la revente et de l’achat de vêtements de seconde main risque-t-il de faire diminuer des sacs de dons que les citoyens remettent à des organismes qui en dépendent ?

« C’est sûr qu’une fois que les gens voient qu’ils peuvent faire de l’argent avec certains morceaux, ils vont peut-être être moins aptes à les mettre dans des sacs pour faire des dons à des organismes de charité », répond Mme Brouard.

« Pour nous, le fait que des gens revendent leurs vêtements en ligne, c’est un enjeu », admet Éric St-Arnaud, directeur général de Renaissance. « Si vous êtes un étudiant, une famille monoparentale ou que vous venez de perdre votre emploi, vous allez peut-être retirer un certain gain à revendre vos articles au lieu de les donner. »

Pour le moment toutefois, M. St-Arnaud, dont l’organisme vend des articles d’occasion à prix modiques tout en facilitant la réinsertion sociale de plusieurs personnes désireuses de retourner sur le marché du travail, n’a pas encore noté de diminution de dons. L’an dernier, ce sont 1,5 million de personnes qui ont remis 27 000 tonnes de dons. En ce moment, avec la période des déménagements, l’organisme vit « son Noël ».

« Mais si tout le monde se met à vendre en ligne, qu’est-ce qui va rester à la population dans le besoin ? », s’inquiète-t-il.