L’aventure de la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ) dans les cryptomonnaies tourne au cauchemar après seulement huit mois. Son partenaire, Celsius Network, gèle les retraits et transferts de ses 1,7 million de clients en raison de ce qui est perçu comme une crise des liquidités – faisant du même coup craindre le pire quant à son avenir.

« Suspendre les activités comme cela est un plan extrême qui détruit la confiance envers toute entreprise », souligne Phillippe Jetté, analyste principal des cryptomonnaies chez la firme Rivemont Investissements. « C’est donc que la situation est absolument critique. »

Présentée comme une « entreprise de calibre mondial » par la CDPQ pas plus tard qu’à l’automne dernier, Celsius, qui a reçu 150 millions US (environ 190 millions CAN) du bas de laine des Québécois, a semé la consternation chez sa clientèle en évoquant des « conditions extrêmes » de marché ayant mené à l’effondrement du prix des cryptoactifs ces dernières semaines.

Plusieurs questions demeuraient sans réponse, lundi, au lendemain de l’annonce. Dans une déclaration envoyée à La Presse, le gestionnaire québécois de régimes de retraite – actionnaire minoritaire de Celsius – s’est limité à dire qu’il suivait « ce dossier de près » tout en défendant son partenaire.

Lisez La CDPQ dans les cryptobanques : risques et questions droit devant

Très actif sur les réseaux sociaux, le chef de la direction de Celsius, Alex Mashinsky, demeurait silencieux. En réponse à un déposant, samedi, sur Twitter, il prétendait que tout était maîtrisé.

« Connaissez-vous une seule personne qui a eu du mal à retirer ses fonds de Celsius ? », écrivait-il, à environ 24 heures du gel.

Seule certitude pour le moment : il « faudra du temps » avant de trouver une solution, laisse entendre l’entreprise, dont les actifs sont vraisemblablement insuffisants pour honorer les retraits que souhaitent effectuer ses clients et payer les intérêts.

« Les prochaines heures et jours seront cruciaux, mais Celsius dans son modèle actuel […] est probablement déjà mort et enterré », croit M. Jetté.

Pendant que les principaux indices dégringolaient, lundi, le marché des cryptomonnaies suivait la même tendance. Cryptomonnaie la plus utilisée, le bitcoin cotait, en fin d’après-midi, à 23 255 $ US, en baisse de 12,4 %.

Modèles risqués

Les cryptobanques comme Celsius s’inspirent du modèle des banques traditionnelles. Elles mettent en commun les dépôts de cryptomonnaies comme le bitcoin et offrent des prêts et des intérêts, souvent supérieurs à 10 %, aux déposants.

Le hic, c’est que ces nouveaux acteurs ne sont pas réglementés et que rien ne protège l’argent des déposants. De plus, ils ne sont pas assujettis à un seuil minimal de capital dans leurs réserves, contrairement aux institutions financières traditionnelles.

À l’instar d’autres plateformes, Celsius s’est retrouvé sous la loupe des autorités réglementaires américaines en rémunérant ses déposants avec sa propre monnaie virtuelle (CEL). Selon les gendarmes boursiers, cette pratique constitue une offre de titres non enregistrés qui enfreint les règles.

Professeur en finance et analyste des cryptomonnaies à l’ESG UQAM, Alexandre F. Roch croit qu’il faudra « certainement revoir » le modèle de Celsius.

« Une banque qui n’est plus capable de répondre aux demandes de liquidités et doit du jour au lendemain tout arrêter, ça mine sa crédibilité, c’est certain, dit-il. Ça mine aussi la confiance des investisseurs. Ça envoie un très mauvais signal au marché. Les investisseurs vont attendre que Celsius leur permette de retirer leurs cryptoactifs et lorsque ça va se produire, tout le monde va retirer son argent et ça pourrait faire planter Celsius. »

Questions sans réponse

Gestionnaire de portefeuille chez Rivemont, Martin Lalonde juge prometteur le secteur des cryptomonnaies. Il comprend l’intérêt de la Caisse. Compte tenu de la tournure des évènements, un constat s’impose.

« Ce qu’on peut dire, c’est qu’ils n’ont pas misé sur le bon poulain en partant », affirme M. Lalonde.

Il n’a pas été possible de parler à Alexandre Synnett, premier vice-président et chef des technologies à la Caisse, qui vantait les mérites de Celsius en octobre dernier au moment d’annoncer l’investissement. La CDPQ n’a pas non plus expliqué le processus de vérification au préalable qui l’a incité à miser des millions dans une entreprise dont l’existence est incertaine huit mois plus tard.

« Celsius agit de façon proactive pour s’acquitter de ses obligations auprès de ses clients et a honoré ses engagements auprès de ses clients jusqu’à présent », s’est limité à souligner la porte-parole de l’institution, Kate Monfette, par courriel.

Selon M. Lalonde, la Caisse a possiblement sous-estimé les risques réglementaires puisque Celsius s’apparentait à une banque.

En savoir plus
  • 12 milliards
    En mai, l’actif de Celsius était estimé à 11,8 milliards, selon son site web. C’est une baisse de plus de la moitié par rapport au niveau d’octobre dernier.
    SourceS : CELSIUS ET CDPQ
    3 milliards
    Il s’agissait de la valeur accordée à Celsius Network l’automne dernier.
    Source : CDPQ