Imaginez un milieu de travail où, contrairement à la norme, chacun des employés peut connaître le salaire de ses collègues. C’est le pari que fait l’entreprise de télécommunications oxio, depuis la fin d’avril.

Marc-André Campagna, cofondateur et PDG d’oxio, a mis en place un registre de rémunération interne le 28 avril. Cela fait partie de sa nouvelle politique de « transparence salariale », qui vient contrer l’« opacité » des salaires qu’on retrouve dans la majorité des entreprises. Un concept qui, puisqu’ils ont en main davantage d’informations, accorderait un plus grand pouvoir de négociation aux employés.

« Il y a beaucoup de peur et de crainte de challenger le statu quo, estime-t-il. Ne pas publier les salaires, ça a donné le plus gros pouvoir aux employeurs, qui pouvaient rémunérer comme bon leur semble. »

Jusqu’à maintenant, cette mesure est très bien reçue chez la centaine de salariés d’oxio. « On a d’excellents commentaires. Les gens sont super excités, relate Marc-André Campagna. J’ai même été surpris de voir des membres de l’équipe dévoiler leur salaire de façon publique, alors qu’on ne le leur avait pas demandé. »

La transparence salariale mise de l’avant par oxio remédie à un problème de « secret salarial » traditionnellement présent en entreprise, selon Stéphane Renaud, professeur titulaire à l’École de relations industrielles de l’Université de Montréal.

Souvent, on demande aux employés de ne pas révéler leur salaire, justement pour décourager la comparaison entre les travailleurs. Lorsqu’il n’y a pas de point de comparaison, ils ont tendance à se comparer avec des gens plus élevés qu’eux. Ça génère de l’insatisfaction et de l’iniquité.

Stéphane Renaud, professeur titulaire à l’École de relations industrielles de l’Université de Montréal

Déjà, le registre de rémunération de Marc-André Campagna a permis à des salariés d’oxio d’améliorer leurs conditions de travail.

« On s’est rendu compte que Caroline, notre directrice marketing, gagnait 40 000 $ de moins par année que ce qu’on pouvait lui offrir selon le marché, raconte-t-il. Elle nous a présenté sa recherche et on a bonifié son salaire. »

Casser le moule

Denis Morin, professeur au département d’organisation et ressources humaines de l’École des sciences de la gestion de l’UQAM, serait personnellement moins enclin à révéler ouvertement son propre salaire. « À moins que ce soit à des amis proches, tu ne vas pas dire ton salaire annuel systématiquement. Surtout pas. La détermination de ton salaire personnel relève de nombreux facteurs que ton collègue ne connaît pas nécessairement », indique-t-il.

C’est justement cela qu’il faut corriger, selon Denis Morin, qui recommande aux employeurs de fournir à leurs travailleurs des outils pour améliorer leur compréhension de la rémunération.

« À quelle fréquence révisez-vous les salaires ? Est-ce que les descriptions de postes sont à jour ? Faites-vous un lien entre le rendement au travail et le salaire ? Qui va répondre aux questions des employés concernant la rémunération ? […] Assurez-vous que les employés disposent de tout ce dont ils ont besoin pour bien comprendre votre politique de rémunération », conseille-t-il aux entreprises.

Il est important de connaître non seulement les salaires, mais aussi les mécanismes qui se cachent derrière. Le but ultime de ça, c’est d’instaurer un milieu de travail où il y a le moins possible de disparité.

Stéphane Renaud, professeur titulaire à l’École de relations industrielles de l’Université de Montréal

Améliorer l’équité, c’est précisément ce qu’oxio souhaite faire. L’entreprise et son PDG pensent qu’il est bénéfique d’« ouvrir la discussion sur qui va gagner combien » en présentant des arguments pour lesquels une rémunération X est associée à un poste Y.

Ça risque de continuer

Marc-André Campagna, 29 ans, est un jeune dirigeant d’entreprise. Mettant de l’avant sa politique de transparence salariale, mais aussi sa préférence pour le télétravail, il se targue d’avoir une « nouvelle façon de faire ». Et selon lui, il y a d’ailleurs un écart significatif entre « les anciennes et les nouvelles » manières de gérer une entreprise.

« On veut être l’entreprise la plus transparente au monde, énonce le jeune homme. On a la seule compagnie de télécommunications qui dit combien ça nous coûte de te fournir un forfait pour telle quantité de Go. Éventuellement, nos rencontres de conseil d’administration et les différentes dépenses de l’entreprise seront aussi publiques. »

Un employé placé dans une situation équitable sera plus loyal et se sentira plus valorisé, conclut le professeur Stéphane Renaud.

« C’est quelque chose qui va prendre de l’ampleur, à cause des attentes des jeunes travailleurs. Chez eux, le premier facteur réclamé dans un emploi, c’est la reconnaissance de leur contribution. Ils ne vivent plus pour travailler, mais ils travaillent pour vivre. »

En savoir plus
  • 250 000 $
    Salaire que Marc-André Campagna touche annuellement. Cette information est disponible publiquement, en vertu d’un effort de « transparence salariale » de son entreprise.
    SOURCE : oxio