Terrassée par l’influenza aviaire hautement pathogène qui l’a forcée à éliminer quelque 150 000 oiseaux, dont tous ses reproducteurs, l’entreprise Canards du Lac Brome prévoit qu’il lui faudra jusqu’à un an pour relancer ses activités. Le plus gros producteur de canards au Canada, qui emploie plus de 300 personnes au Québec, estime avoir besoin de jusqu’à 20 millions de dollars de fonds publics pour y parvenir.

« On a ça à cœur, on a de l’énergie, mais on ne pourrait pas le faire tout seul », a déclaré la directrice générale de l’entreprise en entrevue téléphonique avec La Presse mercredi. « Ça va prendre entre 15 et 20 millions » de dollars d’aide extérieure, estime Angela Anderson.

Canards du Lac Brome est le premier producteur de volaille commercial québécois frappé par la grippe aviaire hautement pathogène H5N1. Trois de ses sites d’élevage sont contaminés et un autre était en attente de résultat mercredi. Tous sont en Estrie.

Les résultats des neuf autres sites sont négatifs, a indiqué la DG. L’entreprise pense donc pouvoir approvisionner son réseau de distribution durant quatre à cinq semaines encore, et assure que la qualité de ses produits est « impeccable ».

De fait, la grippe aviaire se transmet « difficilement et rarement » à l’être humain, et presque uniquement à des travailleurs enfermés longtemps avec des animaux malades, indique la documentation du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ). Même pour la viande de sauvagine, il n’existe « aucune preuve scientifique » que la consommation puisse être une source d’infection pour l’humain.

Une fois les stocks de Canards du Lac Brome épuisés, il faudra « un minimum de 10 à 12 mois » avant que les activités et l’approvisionnement ne reviennent à la normale, prévient l’entreprise.

Son siège social de Knowlton abritait en effet tous ses oiseaux reproducteurs et plus de 400 000 œufs, qui ont tous été détruits.

« On est en train de sécuriser [l’approvisionnement en] génétique, mais ça va rentrer petit à petit. Les fournisseurs sont en France et en Angleterre et malheureusement, eux aussi ont été atteints de façon très importante par la grippe aviaire », explique la DG.

C’est un deuxième coup dur pour le site de Knowlton, dont l’usine de transformation avait été détruite dans un incendie en 2016, puis reconstruite à Val-des-Sources (ex-Asbestos).

Les employés étant répartis dans 13 sites, la DG a annoncé les mauvaises nouvelles à 11 reprises mardi. « Les mises à pied ont déjà débuté, malheureusement, et dans quatre à cinq semaines, on va avoir mis à pied environ 95 % de notre main-d’œuvre, une situation extrêmement triste. »

Mme Anderson, qui travaille pour Canards du Lac Brome depuis 27 ans, a grandi à côté du siège social puisque ses parents, tous deux superviseurs dans l’entreprise, habitaient l’une des maisons situées sur le site. « Ma mère qui a 71 ans et travaille depuis plus de 50 ans pour Canards du Lac Brome vient d’ailleurs de perdre son emploi à deux jours par semaine… »

Avec « des idées créatives » actuellement en développement, le délai de redémarrage pourrait être raccourci à six mois, au mieux, glisse Mme Anderson.

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Des employés de l’entreprise Canards du Lac Brome

En attendant, « c’est sûr qu’on va travailler les programmes pour la relocalisation de nos employés » avec Emploi Québec. L’entreprise est aussi en discussion avec l’Union des producteurs agricoles (UPA) au sujet de la soixantaine de travailleurs étrangers qu’elle emploie.

Canards du Lac Brome, qui ne laisse pas ses oiseaux aller à l’extérieur, ignore encore comment le virus s’est introduit, et s’il s’est propagé d’un élevage à l’autre. « On est en train de faire l’enquête avec l’Agence canadienne d’inspection », dit Mme Anderson.

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« Soyez assurés que les gens se parlent », a déclaré le ministre québécois de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation, André Lamontagne, à La Presse mercredi.

Depuis l’expérience de la pandémie, « on est certainement très équipés pour venir en soutien, de façon ponctuelle, à des entreprises qui vivent de grands traumatismes », a dit M. Lamontagne, évoquant l’aide fournie « à des milliers d’entreprises » qui ont eu des enjeux de liquidités. Son cabinet et son ministère, ainsi que le ministère de l’Économie et de l’Innovation et Investissement Québec, sont impliqués, mais la situation étant « très, très préliminaire », l’aide qui sera offerte reste à déterminer.

Au cabinet de la ministre fédérale de l’Agriculture, Marie-Claude Bibeau, dont la circonscription (Compton–Stanstead) est voisine de celle qui abrite le siège social de Canards du Lac Brome (Brome–Missisquoi, représentée par la libérale Pascale St-Onge), on était à faire le point sur la situation de ce « fleuron » de la région mercredi. Outre l’indemnité de l’Agence canadienne d’inspection des aliments pour les oiseaux éliminés, il existe « une série de programmes de gestion de risque » auxquels l’entreprise pourrait faire appel, indique-t-on.

L’entreprise étant de loin le plus gros producteur de canards au Canada, aucune autre ne peut remplacer son volume à court terme, a estimé pour sa part le président de l’Association des éleveurs de canards et d’oies du Québec (AECOQ), Robert Caswell. « Si, demain, un autre producteur voulait se lancer, il faudrait qu’il ait des œufs en place pour le faire. »

Canards du Lac Brome

  • Fondation : 1910
  • Propriétaire : Groupe Mario Côté depuis 2005
  • Chiffre d’affaires : 45 millions de dollars
  • Production : 2,6 millions de canards étaient prévus en 2022
  • Part du marché canadien : 60 %
  • Exportations : de 5 à 10 % des revenus
  • Siège social : Knowlton
  • Élevage : 13 sites en Estrie, en Montérégie, dans le Centre-du-Québec et en Mauricie
  • Employés : plus de 300, dont une soixantaine de travailleurs étrangers
  • Grippe aviaire : trois sites contaminés (Saint-Claude, Knowlton, Wotton), un autre en analyse
  • Pertes : 150 000 oiseaux (dont les reproducteurs) et plus de 400 000 œufs éliminés

Source : Canards du Lac Brome