La firme montréalaise Sollertia conçoit, fabrique et installe des aménagements architecturaux constitués de membranes mises en tension – une technique méconnue ici. C’est elle qui a concrétisé en textile les murs sinueux du Biodôme réaménagé.

C’est l’inverse des drapés de Christo sur les grands monuments : l’architecture en toile de Sollertia est partie constituante et permanente de l’ouvrage.

En témoignent les parois intérieures tout en sinuosités laiteuses de l’atrium du Biodôme, imaginées par la firme d’architectes Kanva et concrétisées par Sollertia.

Leurs membranes, comme figées dans leur ondoiement, sont tendues entre des poutrelles triangulées qui serpentent, invisibles, l’une au plancher et l’autre à 15 mètres de hauteur.

Comptant environ 25 employés, Sollertia est un « bureau d’étude et de réalisation d’architecture textile », selon la description qu’en donne son président, Claude Le Bel.

La membrane est un matériau de construction, comme le bois, le verre, l’acier, le béton.

Claude Le Bel, président de Sollertia

C’est pour la mettre en œuvre qu’il a fondé Sollertia en mai 2000. « J’avais envie de lancer une entreprise, d’avoir une équipe à moi pour faire des choses que les autres ne font pas. »

Il était jusqu’alors directeur technique et chef monteur au Cirque du Soleil, où il avait appris et maîtrisé cette antique sous-spécialité de l’architecture textile : les chapiteaux, c’est-à-dire une « membrane qui devient un bâtiment en moins de deux jours », selon ses termes.

La directrice de la conception et de l’innovation chez Sollertia, Nathalie Lortie, s’est jointe à lui en 2004. Titulaire d’un bac en architecture et fascinée de longue date par les formes organiques, elle voit dans les membranes un « moyen de modeler l’espace de façon libre ».

Attention, il ne s’agit pas d’un simple matériau de recouvrement – tapisserie ou tenture –, mais d’un voile mis en tension sur une structure légère, qui formera une paroi, un mur, un toit, un écran, un abri.

La stabilité de la toile est produite par les courbures opposées des paraboloïdes hyperboliques – la forme des croustilles Pringles, par exemple.

Dans l’atelier de l’entreprise, où sont fabriqués maquettes et prototypes, Nathalie Lortie fait palper une série d’échantillons qui varient en épaisseur, en résistance et en opacité, depuis les filets fins comme des moustiquaires jusqu’aux solides membranes qui formeront des toits.

Les membranes architecturales, généralement des armatures de fibres plastiques enduites en surface, sont encore d’usage peu courant ici, « mais on n’est pas dans les matériaux nouveaux », insiste Claude Le Bon. Avec des installations qui datent de 40 ans, « ça commence à être bien connu et éprouvé ».

La durée de vie de la membrane variera de 5 à 65 ans, selon son type et son usage.

Courbes dictées par la nature

Sollertia conçoit la membrane, son système de mise en tension et la structure qui la supporte, il la fabrique et en fait l’installation.

« Ces matériaux et ces techniques ne sont pas enseignés au Canada, ni en architecture ni en ingénierie, du moins pas aux dernières nouvelles », souligne Claude Le Bel.

La membrane est maintenue à ses points de départ et d’arrivée, mais entre les deux, son parcours est dicté par la physique.

« Ce que les gens ne savent pas, c’est que ces formes, on ne peut pas les forcer », explique-t-il. « La toile va prendre sa forme naturelle », comme une toile d’araignée.

Tout l’art consiste à concevoir les structures qui produiront les courbes correspondant au concept. Parce que ces membranes ne sont pas extensibles, les galbes sont donnés en assemblant des laizes taillées aux justes dimensions, tel un vêtement.

Les concepteurs de Sollertia utilisent des logiciels spécialisés pour modéliser les formes en 3D. Ils en tirent les plans de découpe des laizes et les dessins techniques des tortueuses structures métalliques qui les tendent.

Avant ces outils numériques, raconte Claude Le Bel, les créateurs utilisaient de petites structures en broches trempées dans de l’eau savonneuse, pour observer quelles formes prenaient les bulles.

C’est une spécialisation, une technique de construction qui a évolué dans le temps, et avec laquelle aujourd’hui on peut pousser encore plus loin et innover, avec des structures vraiment légères et couvrir de grandes surfaces. Et il y a tout l’attrait de la translucidité de ces membranes.

Nathalie Lortie, directrice de la conception et de l’innovation chez Sollertia

Elles peuvent aussi former des surfaces parfaitement planes, comme elle le démontre avec des membranes tendues sur des cadres.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Les membranes tendues sur des cadres peuvent aussi former des surfaces parfaitement planes, comme le démontre Nathalie Lortie.

La variété des projets en cours traduit la polyvalence du matériau.

« Actuellement, on a une toile d’ombrage sur un bateau de croisière, un kit d’embarcadère pour le port de Québec qu’on est en train de réentoiler, une entrée pour le Grand Théâtre de Québec – en geste de marketing plus artistique –, la façade de la bibliothèque de Péribonka… », énumère Claude Le Bel.

Sollertia peut s’engager dans le projet dès la phase de conception, sur la base d’une simple esquisse, mais le concept est quelquefois largement arrêté quand la firme est appelée à intervenir. C’était le cas de Kanva et du projet de réaménagement intérieur du Biodôme, inauguré en août 2020.

Les formes organiques du Biodôme
  • Sollertia a travaillé avec la firme d’architectes Kanva afin de concrétiser le projet d’atrium tout en courbes que celle-ci avait imaginé pour le Biodôme, rouvert en août 2020. « Quand on a rencontré l’architecte, il n’était pas vendu pour la membrane, relate Nathalie Lortie. Il était en train d’analyser les différentes possibilités. Ç’aurait pu être en gypse, en métal. »

    PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

    Sollertia a travaillé avec la firme d’architectes Kanva afin de concrétiser le projet d’atrium tout en courbes que celle-ci avait imaginé pour le Biodôme, rouvert en août 2020. « Quand on a rencontré l’architecte, il n’était pas vendu pour la membrane, relate Nathalie Lortie. Il était en train d’analyser les différentes possibilités. Ç’aurait pu être en gypse, en métal. »

  • « La première chose a été de rentrer ces formes dans notre logiciel, indique Nathalie Lortie. Voir comment la toile se forme de façon naturelle. Éviter tous ces obstacles. Ensuite, trouver une façon de développer cette structure. » Sur écran d’ordinateur, elle montre le dessin technique en 3D de l’aménagement de l’atrium et le parcours sinueux des poutrelles triangulées qui tendent les membranes.

    PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

    « La première chose a été de rentrer ces formes dans notre logiciel, indique Nathalie Lortie. Voir comment la toile se forme de façon naturelle. Éviter tous ces obstacles. Ensuite, trouver une façon de développer cette structure. » Sur écran d’ordinateur, elle montre le dessin technique en 3D de l’aménagement de l’atrium et le parcours sinueux des poutrelles triangulées qui tendent les membranes.

  • « L’architecte avait un peu peur : est-ce que ça va ressembler à un chapiteau, à une tente ? », raconte Nathalie Lortie.
Pour démontrer les solutions techniques, l’équipe de Sollertia a construit dans son atelier une maquette à échelle ½ d’une des sections de l’atrium. « Les architectes sont venus avec les autres corps de métier, explique Claude Le Bel. Le gars de la ventilation, le gars des gicleurs, l’électricien : tout le monde est venu pour voir et pour discuter la façon dont on pouvait faire les choses. »

    PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

    « L’architecte avait un peu peur : est-ce que ça va ressembler à un chapiteau, à une tente ? », raconte Nathalie Lortie.
    Pour démontrer les solutions techniques, l’équipe de Sollertia a construit dans son atelier une maquette à échelle ½ d’une des sections de l’atrium. « Les architectes sont venus avec les autres corps de métier, explique Claude Le Bel. Le gars de la ventilation, le gars des gicleurs, l’électricien : tout le monde est venu pour voir et pour discuter la façon dont on pouvait faire les choses. »

  • « Il y avait toutes sortes de défis, parce qu’on venait imbriquer le projet dans un bâtiment existant », souligne Nathalie Lortie. La membrane devait s’adapter et se marier aux éléments architecturaux, structuraux et mécaniques, comme les conduits de ventilation, dont on voit les bouches rondes qui s’ouvrent en chapelet.

    PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

    « Il y avait toutes sortes de défis, parce qu’on venait imbriquer le projet dans un bâtiment existant », souligne Nathalie Lortie. La membrane devait s’adapter et se marier aux éléments architecturaux, structuraux et mécaniques, comme les conduits de ventilation, dont on voit les bouches rondes qui s’ouvrent en chapelet.

  • « Il a fallu penser à une façon de faire cette structure pour qu’elle soit la plus économique possible, malgré ses multiples courbes », constate Nathalie Lortie. Pour ce projet, Sollertia a conçu un joint mécanique universel qui s’installe à l’extrémité des mâts, pour permettre un ajustement millimétrique des poutrelles triangulaires en tiges d’aluminium. Tous ces éléments métalliques sont fabriqués par une « entreprise sœur », acquise récemment.

    PHOTO MARC CRAMER, FOURNIE PAR SOLLERTIA

    « Il a fallu penser à une façon de faire cette structure pour qu’elle soit la plus économique possible, malgré ses multiples courbes », constate Nathalie Lortie. Pour ce projet, Sollertia a conçu un joint mécanique universel qui s’installe à l’extrémité des mâts, pour permettre un ajustement millimétrique des poutrelles triangulaires en tiges d’aluminium. Tous ces éléments métalliques sont fabriqués par une « entreprise sœur », acquise récemment.

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Fusion et confection

Dans un local adjacent à l’atelier, Sollertia assemble les membranes qu’elle conçoit. Interdiction de fouler le plancher sans porter de pantoufles en textile bleu – des masques pour pieds –, question de ne pas le souiller. Car c’est sur le sol que sont déposées les laizes soigneusement taillées, à mesure de leur assemblage.

Elles sont soudées avec un appareil à radiofréquence, qui coulisse le long d’une table d’une vingtaine de mètres de long. La fréquence, la durée et la pression sont ajustées au type de membrane et à son épaisseur. « Je dois trouver la recette, en fonction des matériaux », indique le chef d’équipe Nicolas Labonté.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Pour récupérer et réutiliser les chutes de découpe, l’équipe de Sollertia a conçu et fabriqué toute une série de produits : sacs-repas, porte-documents à bandoulière…

La membrane sociale

Après l’enveloppement durable, le développement durable : Claude Le Bel met tout en œuvre pour récupérer les chutes de découpe. Son équipe a conçu et fabriqué toute une série de produits pour les réutiliser : sacs-repas, porte-documents à bandoulière… « C’est notre façon de réduire notre empreinte sur l’environnement », dit-il. Il fait vibrer sa membrane sociale.

Les cinq membranes les plus courantes en architecture textile

  • Armatures de fibre de polyester enduite de polychlorure de vinyle (PVC)
  • Armatures de fibre de verre enduite de polytétrafluoroéthylène (PTFE)
  • Film d’éthylène tétrafluoroéthylène (ETFE)
  • Armatures de fibre de verre enduite de silicone
  • Armatures de PTFE expansé enduites de PTFE

Source : Sollertia