Un an après l’engagement de 400 millions de Québec, les promesses de Télésat se font attendre. L’entreprise cherche toujours 2,5 milliards pour financer sa constellation de satellites de télécommunication, les centaines d’emplois évoqués n’ont pas encore été créés, et des retards ainsi que des dépassements de coûts semblent inévitables.

Même après avoir vu le gouvernement Trudeau consentir 1,5 milliard en août dernier, l’entreprise d’Ottawa tente toujours de convaincre les agences comme Exportation et développement Canada (EDC) et Bpifrance de monter à bord du projet Lightspeed, dont la facture est estimée à 6,5 milliards.

« La question, c’est de savoir pourquoi », se demande Caleb Henry, analyste principal de la firme américaine Quilty Analytics, qui se spécialise dans l’aérospatiale, en entrevue avec La Presse.

Les deux ordres de gouvernement proposent de financer environ 28 % de la constellation. Ce type de projet est « risqué », reconnaît M. Henry. Mais les concurrents sont dans une course puisque les mégaconstellations sont relativement nouvelles.

Télésat veut déployer 298 satellites en orbite basse (LEO) à plus de 1000 kilomètres au-dessus de la Terre, au Canada et ensuite dans le reste du monde, notamment pour offrir l’accès à l’internet haute vitesse dans des régions éloignées. Des rivaux aux reins solides, comme SpaceX (Elon Musk) et Amazon, caressent également de grandes ambitions, à l’instar de plusieurs promoteurs européens

PHOTO TIRÉE DU SITE WEB DE TÉLÉSAT

Télésat veut mettre près de 300 satellites de télécommunication en orbite.

De plus, tout indique que les premiers lancements de Télésat, prévus en 2024, devront attendre. Thales Alenia Space, responsable de la construction des satellites, a de la difficulté à trouver toutes les pièces nécessaires à l’assemblage, comme les puces électroniques.

« Thales est venue nous voir en expliquant que la chaîne d’approvisionnement constituait un problème », souligne le directeur des politiques publiques chez Télésat, Stephen Hampton. « Nous travaillons avec eux pour déterminer l’impact du retard. »

Celui-ci n’a pas voulu s’avancer sur d’éventuels dépassements de coûts, mais en entrevue téléphonique avec La Presse, le ministre de l’Économie et de l’Innovation, Pierre Fitzgibbon, a affirmé qu’il y en aura « probablement ».

Des questions

Québec et Ottawa appuient toujours Télésat. L’argent sera versé uniquement si Télésat boucle son montage financier. Il est hors de question pour le gouvernement Legault de contribuer davantage.

« On a été pas mal agressifs là-dedans, et ça va être à d’autres de le faire, affirme M. Fitzgibbon. Je suis très sûr que cela va marcher, mais le plus vite sera le mieux. »

Dans un courriel, EDC a dit être « au courant des commentaires » de Télésat à son endroit, ajoutant qu’elle commentait seulement les « transactions officiellement signées ».

M. Henry se demande si les besoins financiers de Télésat sont à « l’extérieur de la zone de confort » de l’agence canadienne. Quant à Bpifrance, l’analyste souligne que l’organisme français avait refusé d’épauler financièrement le projet OneWeb et qu’il est actuellement actionnaire de la constellation par le truchement d’un autre investissement.

« C’est un concurrent de Télésat. La question est de savoir si Bpifrance voudra financer un autre projet du genre. Il y a aussi un projet de la Commission européenne qui est dans les cartons. »

Au printemps dernier, Quilty estimait, dans un rapport, que Télésat accusait plus de deux années de retard par rapport à certains concurrents et que des dépassements de coûts étaient probables.

Les entreprises qui souhaitent déployer des mégaconstellations ne sont pas toutes dans le même créneau. Les satellites de Télésat doivent envoyer des signaux à des tours de retransmission au sol. Ces signaux sont ensuite réacheminés par des fournisseurs, et non directement envoyés aux consommateurs et aux entreprises.

L’appui du gouvernement Legault à Télésat avait été annoncé en grande pompe le 18 février 2021. En échange d’un prêt de 200 millions et d’un investissement de 200 millions en actions privilégiées, l’entreprise promettait de construire une demi-douzaine d’installations à Gatineau, notamment pour la gestion et la surveillance des opérations, ce qui devait créer 300 emplois « payants », s’était félicité le premier ministre François Legault.

Un an plus tard, l’entreprise dit encore être en train de « sélectionner les sites ».

Sous-traitante de Télésat, l’ontarienne MDA, qui exploite une usine à Sainte-Anne-de-Bellevue, a été retenue pour fabriquer les antennes actives des satellites. Elle devait agrandir ses installations et embaucher 280 personnes grâce à un prêt de 50 millions.

Par courriel, l’entreprise s’est limitée à dire qu’elle avait pourvu des « postes clés » en ajoutant qu’elle travaillait avec son client « pour la prochaine phase » de Lightspeed.

En savoir plus
  • 1969
    Télésat a été fondée il y a plus de cinq décennies par le gouvernement fédéral. Elle a lancé son premier satellite au début des années 1970.
    Source : TÉLÉSAT
    42 000
    SpaceX, rival de Télésat, voudrait déployer des mégaconstellations totalisant 42 000 satellites.
    Source : SPACEX