Malgré la fin d’un long différend avec son deuxième actionnaire, l’arrivée d’une nouvelle présidente et de solides résultats financiers, la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN) ne fait pas l’unanimité chez les analystes, dont les opinions divergent à l’égard de Tracy Robinson, choisie pour s’installer aux commandes.

Le nom de Mme Robinson, haute dirigeante de TC Énergie depuis 2014, n’avait pas été évoqué comme candidate à la succession de Jean-Jacques Ruest, sur le point de prendre sa retraite. Cette dernière a toutefois passé presque trois décennies au Canadien Pacifique – le rival du CN –, où elle a gravi les échelons, touchant à la gestion des activités, le marketing et les finances.

Nous avons été quelque peu surpris que le CN n’ait pas choisi une personne dotée d’une expérience plus directe dans le secteur ferroviaire et nous pensons que certains investisseurs pourraient initialement douter de la décision du conseil d’administration.

Matthew Young, analyste chez Morningstar

La gestionnaire de 58 ans, une anglophone qui dit déjà suivre des cours de français, aura notamment pour mandat de poursuivre le plan stratégique de son prédécesseur visant à améliorer l’efficacité du plus important transporteur ferroviaire au pays.

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Deuxième actionnaire en importance du CN avec une participation de 5,2 %, TCI Fund Management – qui est également le principal actionnaire du CP – répétait, depuis le printemps, que l’entreprise établie à Montréal avait négligé cet aspect au cours des dernières années au profit de la croissance de ses activités.

C’est en martelant ce message que le fonds londonien, qui traîne une réputation de militant, souhaitait installer ses propres candidats au conseil d’administration du CN ainsi que Jim Vena, un vétéran de l’industrie, à la place de M. Ruest. Le différend a été réglé avec l’arrivée de Mme Robinson.

« La plupart des investisseurs avec lesquels nous nous sommes entretenus anticipaient un candidat avec de solides antécédents opérationnels », a souligné Benoit Poirier, de Valeurs mobilières Desjardins, dans un rapport envoyé par courriel.

Les investisseurs ont aussi semblé s’interroger. À la Bourse de Toronto, mercredi, le titre du CN a abandonné 4,38 $, ou presque 3 %, pour clôturer à 150,56 $.

Malgré tout, sur les 22 analystes qui suivent les activités de l’entreprise, six recommandent d’acheter le titre, tandis que 15 suggèrent de le conserver, selon la firme de données financières Refinitiv.

Le bon profil

Anthony Hatch, spécialiste du secteur ferroviaire au sein de la firme new-yorkaise ABH Consulting, ne partage pas l’avis des analystes financiers. À son avis, ceux-ci se sont laissé influencer par les attaques répétées de TCI à l’endroit du CN.

PHOTO TIRÉE DU SITE WEB DE TC ÉNERGIE

Tracy Robinson a passé près de trois décennies au Canadien Pacifique, le rival du CN.

En entrevue téléphonique avec La Presse, M. Hatch a estimé que la nomination de Mme Robinson représentait une « victoire pour les nouveaux modèles ferroviaires » qui mettent l’accent sur la technologie et les critères ESG (environnement, sociaux et gouvernance).

« Le CN a été confronté à plusieurs vents de face, explique M. Hatch. Il y a eu les blocus ferroviaires, les incendies de forêt [dans l’Ouest canadien], les inondations en Colombie-Britannique. Je ne crois pas qu’une réinitialisation complète soit nécessaire. J’ai toujours été perplexe à l’endroit du combat [de TCI] sur cet aspect [l’efficacité]. »

En vantant la candidature de Jim Vena – un ex-cadre du CN reconnu pour son expertise dans la gestion des activités – comme successeur de M. Ruest, TCI a été en mesure de donner l’impression que c’est pour ce type de profil que le chemin de fer devait opter, estime M. Hatch.

Au CP, Mme Robinson a occupé des postes dans le secteur opérationnel, aux activités commerciales ainsi qu’aux finances. M. Hatch estime que son profil se compare à celui des dirigeants de chemins de fer comme CSX, BNSF et Norfolk Southern.

Konark Gupta, de la Banque Scotia, est du même avis que le spécialiste new-yorkais en ce qui a trait à la polyvalence de Mme Robinson.

« Nous croyons que sa vaste expérience multisectorielle […] ainsi que ses relations avec les communautés autochtones et les organismes réglementaires lui permettront d’être une solide présidente », a écrit l’analyste dans un rapport.

En 2022, le CN vise un ratio d’exploitation ajusté – une mesure de l’efficacité qui exprime les dépenses en pourcentage des revenus – à 57 %. Cet indicateur se situait à 61,2 % à la fin de décembre.

Un plan déjà en marche

Une partie des efforts de réduction des coûts ont déjà été réalisés, ce qui améliorera le ratio d’exploitation ajusté. L’an dernier, l’effectif du CN a fondu de 7 %, ou 1800 personnes, pour s’établir à 22 600 employés. D’autres économies de 75 millions ont déjà été réalisées.

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De plus, des actifs jugés non essentiels, comme les services de navires de marchandises dans les Grands Lacs et l’entreprise de camionnage TransX, pourraient être vendus. Mardi, M. Ruest a souligné aux analystes qu’il y avait des pourparlers avec des « soumissionnaires actifs ».