(Ottawa) Les enquêteurs anticorruption de la GRC disent qu’ils se penchent sur de possibles pratiques louches de plusieurs entreprises canadiennes opérant dans certaines régions d’Afrique, d’Europe de l’Est et d’Amérique du Sud.

Les entreprises impliquées dans l’exploitation minière, les infrastructures, l’aviation, les chemins de fer, l’ingénierie et la technologie font l’objet de soupçons de corruption, comme le paiement d’un pot-de-vin pour obtenir un contrat, indiquent les responsables des Enquêtes internationales et de nature délicate (EIND).

« Ce sont tous des secteurs qui sont à risque », a déclaré la sergente-cheffe Stéphanie Rousseau, responsable par intérim de l’équipe anticorruption étrangère de la section.

L’équipe est chargée d’enquêter sur d’éventuels actes répréhensibles en violation de la Loi sur la corruption d’agents publics étrangers, qui permet à la GRC d’accuser des individus ou des sociétés dans les cas où il y a un lien substantiel avec le Canada.

Mme Rousseau dit avoir bon espoir que les entreprises canadiennes sont de plus en plus conscientes des conséquences des comportements illicites à l’étranger.

« Et nous faisons savoir que ce n’est pas une façon de faire des affaires », a-t-elle déclaré lors d’une récente entrevue, accompagnée d’autres membres de l’équipe.

La GRC a un autre message important pour les entreprises canadiennes : informez-nous si vous détectez d’éventuels actes répréhensibles au sein de vos activités.

Les entreprises ont maintenant une incitation supplémentaire à le faire, selon la GRC.

La législation fédérale adoptée en 2018 a donné aux procureurs un outil, connu sous le nom d’accords de réparation, pour faire face à une gamme de crimes économiques commis par des entreprises. L’idée est de tenir les organisations responsables des actes répréhensibles tout en évitant certaines des conséquences d’une condamnation pénale pour les employés, les actionnaires et d’autres qui n’ont rien à se reprocher.

L’entreprise devrait accepter la responsabilité des méfaits, payer une pénalité financière, mettre en place des mesures de conformité pour empêcher la récurrence et faire des réparations aux victimes.

Un juge devra également être convaincu que l’accord est dans l’intérêt public et que les conditions sont justes, raisonnables et proportionnées. Si le juge approuvait l’accord, les poursuites pénales seraient suspendues.

Le dossier SNC-Lavalin en 2019

Les accords de réparation, également connus sous le nom d’accords de poursuites différées, sont devenus une grande nouveauté en 2019 après que la société d’ingénierie montréalaise SNC-Lavalin a fait pression pour un tel accord face à des accusations de corruption et de fraude liées aux affaires en Libye — déclenchant une tempête politique à Ottawa.

Tout de même, la perspective d’éviter les poursuites a incité certaines entreprises canadiennes à se manifester, selon la GRC, bien que le corps policier ne fournisse pas de chiffres.

Avec l’arrivée du régime des accords de réparation en 2018, nous avons vu des entreprises commencer à divulguer volontairement des pratiques, et nous en voyons chaque année. Nous voulons donc encourager cela.

Stéphanie Rousseau, sergente-cheffe

Avant l’arrivée de cette loi, il n’y avait aucun avantage pour les entreprises à s’adresser à la police lorsqu’une activité douteuse était portée à l’attention des dirigeants, a souligné le sergent de la GRC Matthieu Boulanger, enquêteur anticorruption.

« Et [elles] se disaient plutôt : “ Eh bien, nous allons nous asseoir dessus et si cela n’est pas signalé, ça ne fait pas l’objet d’une enquête, alors, vous savez, c’est une chose de moins à gérer. ” »

Maintenant, a indiqué M. Boulanger, une entreprise pourrait informer la GRC d’un courriel louche touchant ses activités ou du fait qu’un agent à l’étranger reçoit soudainement des commissions plus élevées sans raison légitime.

« Parfois, il se peut qu’une fois l’enquête terminée, nous retournions auprès de l’entreprise et disions : “ Nous ne voyons pas d’acte criminel ici. Alors merci d’avoir signalé et continuez sur la bonne voie » », a-t-il fait valoir.

D’autres fois, il pourrait y avoir plus d’éléments derrière les allégations. En fin de compte, il appartiendrait aux procureurs de décider si un accord de réparation est justifié.

La déclaration volontaire peut aider les entreprises qui se retrouvent prises dans des méfaits à l’étranger, mais elle peut également faciliter la vie de la GRC, étant donné que les enquêtes sur la corruption à l’étranger peuvent être complexes et longues.

« Ce sont des cas complexes, a déclaré M. Boulanger. Donc pour nous, il n’est pas rare d’enquêter pendant trois ans sur un cas en particulier. »

Dans certaines parties du monde, les responsables de la GRC ont de la difficulté à obtenir la documentation nécessaire auprès d’agents étrangers, ou il pourrait en fin de compte y avoir un volume imposant d’informations à examiner.

« Nous parlons de téraoctets de données que nous devons parcourir pour analyser et sélectionner ce qui est pertinent, a déclaré Mme Rousseau. Cela peut être un peu frustrant parfois, mais nécessaire. »