L’aviation d’affaires a pris de l’altitude depuis le début de la pandémie, permettant aux principaux constructeurs – Bombardier, Gulfstream et Textron – d’accumuler les commandes. Malgré ce contexte favorable, ils ne sont pas à l’abri de turbulences à cause des chaînes d’approvisionnement perturbées partout sur la planète.

Augmentation du prix des matières premières, rareté des matériaux chez les fournisseurs et délais d’expédition ; les défis sont nombreux pour ces constructeurs, parmi lesquels on retrouve aussi Embraer et Dassault, dont les luxueux jets d’affaires sont prisés par les mieux nantis et les ultrariches, qui se sont tournés vers le transport aérien privé pour se déplacer.

« Nous savons comment on va construire nos avions d’ici la fin de l’année, a expliqué jeudi le président et chef de la direction de Bombardier, Éric Martel, en marge du dévoilement des résultats du troisième trimestre, où l’entreprise a dépassé les attentes. On est en bonne posture. »

Au 30 septembre, la valeur du carnet de commandes de l’avionneur, recentré exclusivement vers les avions d’affaires depuis janvier dernier, était de 11,2 milliards US. La fiabilité de la chaîne d’approvisionnement constitue un élément plus important de l’équation qui détermine s’il faut procéder ou non à une augmentation de la cadence de production.

Dans l’espoir d’éviter les mauvaises surprises, Bombardier a déployé des « dizaines » d’employés – spécialisés dans la logistique et les achats – chez certains fournisseurs de deuxième et troisième rangs afin de les accompagner. L’objectif est de rapidement être informé de pépins, a dit M. Martel.

« Si on découvre un problème six mois avant qu’il ne se répercute chez nous, on a le temps de le corriger, a-t-il dit. La bonne nouvelle, c’est que la majorité de notre chaîne est située en Amérique du Nord et en Europe. »

La question constitue néanmoins un « combat quotidien », selon le grand patron de l’entreprise québécoise.

Suivi de près

Constructeur des Cessna et Beechcraft, Textron, qui a vu son carnet de commandes s’établir à 3,5 milliards US au troisième trimestre, est aussi aux aguets. L’entreprise américaine souhaite accroître sa production pour la ramener au niveau de 2019.

« Bien franchement, c’est une balle courbe que nous aurions préféré ne pas recevoir, mais nous travaillons pour passer au travers », a souligné le président et chef de la direction du conglomérat, Scott Donnelly, jeudi, au cours d’une conférence téléphonique avec les analystes.

La firme d’analyse WingX s’attend à ce que le niveau d’activité dans l’aviation d’affaires surpasse le volume enregistré en 2019, année où le marché a finalement dépassé les niveaux records de 2008.

Chez General Dynamics, la société mère de Gulfstream, le carnet de commandes a atteint un sommet de six ans du côté des avions d’affaires. En dépit de ces bonnes nouvelles, les dirigeants du géant américain ont fait part des mêmes défis que leurs concurrents.

« Les risques sont réels, mais nous sommes dans une industrie qui produit environ 700 avions d’affaires par année, a observé Brian Foley, de la firme américaine Brian Foley Associates, au bout du fil. Il peut y avoir des impacts, mais pas aussi importants que ceux observés chez les constructeurs automobiles. »

Vieux, mais encore séduisant

Le regain de popularité des jets d’affaires rend la concurrence plus féroce dans l’industrie. Gulfstream est le dernier acteur ayant dévoilé deux nouveaux jets. Dans le segment des appareils de taille intermédiaire, les analystes estiment que le G400, qui sera livré à compter de 2025, risque de donner des maux de tête au Challenger 650, une plateforme émanant de la fin des années 1970.

PHOTO TIRÉE DU SITE DE GULFSTREAM

Plusieurs analystes estiment que le G400 de Gulfstream viendra arracher des parts de marché au Challenger 650 de Bombardier.

À La Presse, l’analyste américain Richard Aboulafia avait évoqué un « knock-out instantané ».

« Nous sommes d’accord avec notre concurrent que c’est un marché où il n’y a pas eu de nouvel avion depuis un certain temps », a souligné M. Martel.

Toutefois, le Challenger 650 se vend environ 40 % de moins que le G400 de Gulfstream, affiché à 34,5 millions US. Il est doté d’une cabine plus grande et ses coûts d’exploitation sont moindres, a fait remarquer M. Martel.

« On parle de 2100 $ US par heure de vol par rapport à environ 3000 $ US pour les autres, a-t-il expliqué. À court terme, [le G400] ce n’est pas vraiment une menace pour le Challenger 650. »

Après avoir dévoilé le Challenger 3500 le mois dernier – un Challenger 350 avec une cabine redessinée – le patron de Bombardier croit que l’entreprise n’a pas à élargir sa fourchette de dépenses annuelles en recherche et développement, qui oscille entre 200 et 250 millions US.

M. Foley voit la chose d’un autre œil. À son avis, Bombardier a fait « tout ce qu’elle pouvait » avec le Challenger 650, plus récente version de la plateforme.

« Si l’entreprise veut demeurer dans ce segment, elle a besoin d’un tout nouvel avion, a expliqué l’analyste. On parle de plusieurs centaines de millions. Peut-être même jusqu’à 1 milliard US. »

Avec une dette à long terme de 7 milliards US, l’avionneur n’a peut-être pas les moyens de ses ambitions, croit l’analyste.

À la Bourse de Toronto, le titre de Bombardier s’est négocié en territoire positif, mais en fin de séance, il a piqué du nez pour clôturer à 2,02 $, en baisse de 9 cents, ou 4,3 %.

Bombardier au 3trimestre

  • Revenus : 1,5 milliard US (+ 3 %)
  • Perte nette : 377 millions US (bénéfice de 192 millions US l’an dernier)
  • Perte ajustée : 95 millions US (210 millions US il y a un an)
  • Bénéfice d’exploitation ajusté : 142 millions US (+ 69 %)
  • Carnet de commandes : 11,2 milliards US (+ 5 %)