Alerté par l’enquête interne de Desjardins sur le vol massif de données personnelles de ses clients, le principal suspect a pu détruire des informations compromettantes sur l’un de ses appareils, révèlent des documents de cour fraîchement décaviardés.

Sébastien Boulanger-Dorval « a effacé des fichiers contenus dans son ordinateur portable » après avoir été mis au courant du fait que les enquêteurs du Mouvement avaient l’intention de le récupérer, en mai 2019. C’est ce que révèle une dénonciation rédigée quelques semaines après, pour obtenir un mandat de perquisition dans le cadre du projet Glaive de la police de Laval sur le vol de données.

Le détective Patrick French avait pourtant formellement demandé à Desjardins de ne rien tenter contre Sébastien Boulanger-Dorval sans son autorisation, mentionne le document. Quand le policier a appris que le Mouvement comptait récupérer son ordinateur, il a tenté d’empêcher l’opération afin de protéger la preuve.

Patrick French « répète à plusieurs reprises qu’aucune démarche à l’égard de cet employé ne doit être conduite sans l’accord explicite d’un représentant du Service de police de Laval, dans le but de ne pas nuire à l’enquête en cours », selon la dénonciation.

Qu’à cela ne tienne : Desjardins a tout de même décidé de fouiller son bureau, comme l’ont déjà rapporté les médias. Sébastien Boulanger-Dorval a été « mis au courant » de l’opération. Il a alors pu faire disparaître des informations, révèle la dénonciation.

Joint par La Presse, le Mouvement assure que depuis le début de cette affaire, « la protection de l’intérêt des membres et clients demeure la priorité de Desjardins ».

« Il était important pour nous de mettre fin le plus rapidement possible à ce stratagème qui aurait pu toucher encore plus de membres et pour s’assurer que les personnes malintentionnées cessent leurs agissements », écrit la porte-parole Chantal Corbeil dans un courriel.

Elle assure que Desjardins « collabore avec les corps policiers et continuera de le faire tant que cela sera nécessaire afin de faire toute la lumière sur cette situation ».

Autos de luxe louées de façon frauduleuse

Les dénonciations permettent aussi de comprendre l’importance du réseau criminel qui aurait utilisé les données volées à Desjardins pour louer frauduleusement des voitures de luxe, dès l’été 2018, notamment chez Location Holand, à Mont-Royal.

Les policiers se sont intéressés à plusieurs suspects, dont un individu à l’identité cachée qui « possède un lourd casier judiciaire », ainsi qu’un autre homme également impliqué dans une affaire de violence conjugale, arrêté avec « une arme de poing 9 mm ».

Les suspects auraient utilisé divers moyens pour commettre leurs fraudes : fausses cartes de crédit, faux chèques, immatriculation frauduleuse, faux permis de conduire…

La police de Laval mentionne une perquisition qui a permis de mettre la main sur un terminal de paiement électronique, des relevés de transaction et un relevé bancaire.

Le fournisseur du terminal, la société de paiements électroniques Elavon, a été victime d’une fraude de 125 000 $ dans cette affaire, indique la dénonciation. Une banque (au nom caviardé) en a aussi fait les frais, pour un montant tenu secret.

Dans le cadre de ces malversations, un homme aurait reçu la visite d’un huissier pour des paiements manqués sur un véhicule qu’il n’avait en fait jamais loué. Il a porté plainte à la police de Laval pour vol d’identité.

Une autre personne a vu ses renseignements personnels utilisés pour faire émettre frauduleusement deux cartes de crédit.

À grande échelle

L’une des dénonciations partiellement décaviardées permet de comprendre que le problème avait atteint une ampleur importante. En février 2019, le détective Patrick French a d’ailleurs assisté à une réunion à ce sujet avec des enquêteurs de Desjardins dans ses bureaux principaux à Montréal.

En juin 2019, la Sûreté du Québec a pris la relève de la police de Laval pour diriger l’enquête. Des mandats de perquisition que ses agents ont obtenus deux mois plus tard précisaient que les autorités songeaient à accuser Sébastien Boulanger-Dorval et des complices allégués d’avoir agi « au profit d’une organisation criminelle ».

Plus de deux ans plus tard, la police n’a toujours déposé aucune accusation.

Les mandats qu’ont obtenus les agents lavallois ont notamment permis la perquisition des bureaux de Solutia Finance, en juin 2019. Cette entreprise de prêt privé appartenait à Jean-Loup Leullier-Masse, soupçonné d’avoir racheté les informations volées à Desjardins.

Quant à la SQ, elle attend toujours de pouvoir consulter la preuve saisie dans les bureaux de Desjardins à Montréal en février dernier. Dans le cadre d’une requête de type « Lavallée », une juge doit déterminer quels éléments doivent être exclus pour protéger notamment les relations avocat-client, le secret des informations commerciales et les renseignements personnels.