Réduction des dépenses, élimination de plus de 1000 emplois, vente d’actifs jugés non essentiels… La Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN) entend donner un coup de barre pour améliorer ses profits au moment où son deuxième actionnaire en importance, peu impressionné par ce nouveau plan, place ses pions pour provoquer un ménage au sein de la haute direction.

Deux jours après avoir vu le Kansas City Southern (KCS) lui filer entre les doigts en acceptant l’offre d’achat de son grand rival le Canadien Pacifique (CP) – jugée moins risquée d’un point de vue réglementaire –, le transporteur ferroviaire établi à Montréal a dévoilé un plan visant à gonfler son bénéfice d’exploitation de 700 millions en 2022 et à faire croître son bénéfice par action de 20 %. Le CN a aussi annoncé que les rachats d’actions recommenceront.

Pour y arriver, quelque 650 postes de cadres et gestionnaires seront éliminés, a expliqué le président-directeur général du CN, Jean-Jacques Ruest, au cours d’une conférence téléphonique avec les analystes. Le plus important transporteur ferroviaire sabrera également 400 emplois chez les syndiqués – des ingénieurs et des mécaniciens, surtout. L’entreprise compte plus de 24 000 salariés au Canada et aux États-Unis.

« Il n’y a pas de vaches sacrées au CN, a laissé tomber son grand patron, lorsqu’il a été interrogé sur les actifs qui pourraient être vendus. S’inscrivent-ils dans notre stratégie à long terme ? »

Les actifs « non ferroviaires » qui feront l’objet d’une révision stratégique comprennent les services de navires de marchandises dans les Grands Lacs et l’entreprise de camionnage TransX achetée en 2018.

Les cheminots ne devraient pas écoper des coupes, a indiqué Teamsters Canada. Du côté d’Unifor, qui représente des mécaniciens et d’autres employés, on ignorait les détails, a-t-on fait savoir.

Sauver son poste

Ce plan du CN a également été présenté alors que TCI Fund Management, qui détient une participation de 5,2 % dans l’entreprise, a officiellement demandé, jeudi, la tenue d’une assemblée extraordinaire des actionnaires dans le but de remplacer 4 des 11 membres du conseil d’administration par des candidats qu’il a choisis.

Le fonds londonien, qui traîne une réputation de militant et qui est également le plus important actionnaire du CP, s’opposait depuis le mois de mai à l’offensive du CN. Selon la firme, la tournure des évènements témoigne d’une incompréhension du contexte réglementaire nord-américain de la part du transporteur ferroviaire. À son avis, le CN aurait dû privilégier l’amélioration de son efficacité plutôt que de tenter de réaliser une acquisition coûteuse.

TCI souhaite montrer la porte à M. Ruest, qui siège également au conseil d’administration, pour le remplacer par Jim Vena, un ancien chef de l’exploitation du CN.

L’analyste Cameron Doerksen, de la Financière Banque Nationale, a estimé que la nouvelle stratégie du CN visait à répondre à TCI. Le fonds d’investissement n’a pas été impressionné par ce qu’il a qualifié de « plan stratégique soudain ».

« Pourquoi cela n’a-t-il pas été fait avant ? a souligné TCI, dans une déclaration. La direction actuelle manque de crédibilité pour exécuter ce plan. »

La firme n’a toujours pas indiqué la proportion des actionnaires de l’entreprise qui appuient ses démarches. Le CN a confirmé qu’elle avait reçu la demande concernant une assemblée extraordinaire et qu’elle l’analysait.

Un écart à combler

En 2022, le CN espère voir son ratio d’exploitation – une mesure de l’efficacité qui exprime les dépenses en pourcentage des revenus – s’établir à 57 %. Au deuxième trimestre, il était de 61,6 %, ce qui constitue la pire performance parmi les grands chemins de fer nord-américains, selon une présentation de TCI.

« Il est clair que l’efficacité opérationnelle du CN s’est détériorée au cours des dernières années, a souligné Walter Spracklin, de RBC Marchés des capitaux. L’entreprise était à la tête de l’industrie et elle se trouve maintenant en queue de peloton. »

Benoit Poirier, chez Valeurs mobilières Desjardins, avait estimé, plus tôt cette semaine, qu’il y avait eu un sous-investissement dans le réseau du CN en 2016 et 2017, ce qui avait ouvert la voie à de graves problèmes de service. À cela s’ajoute la grève d’une semaine des quelque 3200 chefs de train, agents de train et agents de triage en novembre 2019, ainsi que les blocus ferroviaires survenus dans les mois qui ont suivi.

Le mariage de 31 milliards US entre le CP et KCS doit être approuvé par les autorités réglementaires américaines. M. Ruest a défendu l’offensive pour tenter d’acheter l’entreprise américaine, soulignant qu’au bout du compte, le CN avait empoché 700 millions en frais de résiliation.

« Beaucoup de choses ont été dites sur notre travail et la qualité de notre équipe, a dit M. Ruest. Nous comprenons que notre offre pour KCS n’était pas dans l’intérêt du CP, mais elle servait ceux du CN, en dépit du résultat décevant. »

À la Bourse de Toronto, vendredi, l’action du CN a clôturé à 150,32 $, en hausse de 3,47 $, ou 2,4 %.

Quelques autres éléments du plan stratégique du CN

  • Ajout de deux nouveaux membres au conseil d’administration
  • Le président du conseil, Robert Pace, ne sollicitera pas de nouveau mandat
  • Rachats d’actions d’environ 1,1 milliard d’ici la fin janvier
  • Jusqu’à 5 milliards consacrés au rachat d’actions en 2022
  • Réduction des dépenses en immobilisation à 17 % des revenus l’an prochain
  • Augmentation de la longueur et de la vitesse des trains