Une nouvelle échéance tombera pour la direction d’Olymel et les 1050 travailleurs de l’usine d’abattage de porcs de Vallée-Jonction impliqués dans un conflit de travail qui dure depuis quatre mois. Si le blitz de négociations ne donne pas de résultats, l’entreprise a l’intention d’abolir son quart de travail du soir et de supprimer ainsi 500 emplois. Analyse de cette grève avec des spécialistes en relations de travail qui croient qu’une entente est possible seulement si Olymel accepte de faire des concessions.

Comment peut-on expliquer que le conflit dure depuis si longtemps ?

« Les salariés ne veulent pas céder, estime Mathieu Dupuis, professeur adjoint au département des relations industrielles de l’Université Laval. Il doit y avoir des enjeux qui sont sous-jacents à la question des salaires. Je ne crois pas qu’ils auraient refusé une entente avantageuse juste pour une raison de salaires. Je pense qu’il y a des enjeux de santé et de sécurité, d’horaire de travail et de contrôle du travail… »

Les spécialistes interrogés rappellent que les conditions difficiles des travailleurs dans les usines d’abattage ont certainement incité les syndiqués à camper sur leurs positions. Rappelons qu’il y a plus d’une semaine, les travailleurs syndiqués de l’usine de la Beauce ont voté à 57 % contre l’entente de principe intervenue entre le syndicat et l’employeur. Pour dénouer l’impasse, le ministre du Travail, Jean Boulet, avait alors nommé un médiateur spécial. Les salaires, les horaires et la durée de la convention collective compteraient parmi les principaux points en litige.

C’est quand même une industrie très dure avec des cadences de travail très rapides. Une industrie où il y a beaucoup d’accidents et où il est difficile de recruter.

Mathieu Dupuis, professeur adjoint au département des relations industrielles de l’Université Laval

« L’industrie de l’abattage traîne les pieds du côté de la mécanisation, ajoute de son côté Jean-Claude Bernatchez, professeur titulaire en relations industrielles à l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR). Les salaires dans cette industrie-là ont toujours été plus faibles que dans l’industrie manufacturière traditionnelle. »

De son côté, si Olymel reste également sur ses positions, « c’est pour garder le contrôle sur le processus de travail », estime M. Dupuis.

L’annonce d’Olymel concernant la suppression d’un quart de travail peut-elle faire avancer les négociations ?

Mathieu Dupuis a des doutes sur cette stratégie qui, selon lui, risque davantage de braquer le syndicat. « Je pense que c’est une mauvaise stratégie de la part de l’employeur, dit-il. À ce stade, on aurait dû retourner à la table et négocier une entente. Ça va avoir plutôt l’effet de mettre le feu aux poudres. »

De son côté, M. Bernatchez estime toutefois que la carte jouée par Olymel peut fonctionner. « Je crois que cette stratégie de coercition là, qui ne va pas dans le sens d’un bon dialogue social, peut fonctionner, peut donner quelque chose. »

Mais l’entreprise peut-elle réellement se permettre d’abolir un quart de travail ?

« La perception par l’employeur du pouvoir syndical s’est sans doute affaissée du fait que le vote a été divisé, fait observer le spécialiste de l’UQTR. L’employeur fait face à une pénurie de personnel. Dans ce contexte-là, c’est sûr qu’il est capable de fermer un quart, quitte à l’ouvrir de nouveau plus tard. »

À l’Université Laval, M. Dupuis s’interroge sur la capacité de l’entreprise d’être rentable si elle passe de la parole aux actes. L’usine de la Beauce abat en moyenne 36 000 porcs par semaine, ce qui correspond à environ 20 % à 25 % du total de l’abattage fait au Québec. Selon les chiffres les plus récents dévoilés par les Éleveurs de porcs du Québec, on compte actuellement 179 900 bêtes en attente.

Pourquoi le syndicat a-t-il refusé d’aller en arbitrage ?

Dans ce qu’il avait qualifié de « rencontre de la dernière chance », le ministre Boulet avait convoqué les deux parties à Québec jeudi matin afin de « mettre de la pression de la meilleure façon possible » et d’éviter la fermeture partielle de l’usine. La nomination d’un arbitre aurait alors mis fin à la grève, selon le ministre.

Olymel a accepté l’offre. Le syndicat l’a refusée. « Du côté syndical, on a toujours eu l’impression qu’historiquement [en arbitrage], la tour de Pise penchait toujours d’un côté, qui est celui de l’employeur », illustre Mathieu Dupuis.

Je ne suis donc pas surpris qu’on ait refusé l’arbitrage. On préfère s’en remettre à la négociation face à face avec l’employeur pour garder le contrôle.

Mathieu Dupuis, professeur adjoint au département des relations industrielles de l’Université Laval

« L’arbitrage de différends au Québec et au Canada a donné de bons résultats, nuance M. Bernatchez. Je n’ai jamais vu un arbitre qui arrive et qui charcute les conditions de travail. Si vous regardez par exemple les pompiers et les policiers, ils ont toujours eu leurs conditions de travail par arbitrage. Ils ont quand même de bonnes conditions de travail. »

Réussira-t-on à en arriver à une entente d’ici dimanche ?

« J’y crois, à leur blitz, dans la mesure où l’employeur est prêt à donner quelque chose », souligne Jean-Claude Bernatchez.

« Ça va dépendre de la partie patronale, à mon sens, croit également Mathieu Dupuis. Je ne dis pas ça pour prendre un côté ou l’autre. Je suis un peu dubitatif avec cette dernière approche là de l’employeur. »