L’intransigeance du fondateur et actionnaire de contrôle d’Exfo, Germain Lamonde, devant les offres répétées et bonifiées d’un concurrent pour acheter l’entreprise de Québec spécialisée dans l’équipement de tests en télécommunications suscite des réactions, voire de la grogne, dans le milieu financier.

« C’est un cas flagrant où le fondateur n’est pas équitable avec les actionnaires en abusant de son pouvoir de vote », dit le gestionnaire de portefeuille Alain Chung, de la firme montréalaise Claret.

C’est d’ailleurs pourquoi Alain Chung dit ne pas aimer les actions subalternes de façon générale, c’est-à-dire les actions qui ne confèrent pas un droit de vote au moins égal à celui attaché aux actions de toute autre catégorie.

Claret est l’un des 15 plus importants actionnaires d’Exfo.

Président exécutif du conseil d’Exfo, Germain Lamonde détient 61 % des actions en circulation d’Exfo, mais 94 % des droits de vote en raison des actions à droit de vote multiple qu’il détient.

L’américaine Viavi a dévoilé cette semaine une offre améliorée qui est maintenant de 8 $US par action pour Exfo, l’équivalent d’environ 460 millions US.

Cette offre, rapidement rejetée par Germain Lamonde, survient alors qu’une assemblée des actionnaires est prévue le 13 août pour voter sur la proposition de M. Lamonde, divulguée au début juin, de fermer le capital au prix de 6 $ US par action. Pour être acceptée, cette offre nécessite que la majorité de la minorité des actionnaires votent pour l’appuyer.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Les bureaux d’Exfo dans la région de Montréal sont situés dans l’arrondissement de Saint-Laurent.

« Manifestement, cette nouvelle offre bonifiée représente une prime significative », commente l’analyste Richard Tse, de la Financière Banque Nationale, dans une note publiée cette semaine. Cela dit, ajoute-t-il, le résultat final sera décidé par Germain Lamonde, mais il pourrait y avoir des pressions d’actionnaires pour obtenir un prix supérieur.

Germain Lamonde affirme que son offre est juste et définitive, mais surtout qu’Exfo n’est simplement pas à vendre (voir onglet suivant).

« Ce n’est pas une question [d’actions à vote multiple] », dit-il en entrevue. « Je suis actionnaire de contrôle seulement avec mes actions ordinaires. Lorsqu’une personne décide d’investir dans une entreprise où il y a un actionnaire de contrôle, ça veut dire qu’une offre d’achat ne sera acceptée que si l’actionnaire de contrôle le souhaite. Il a le droit de décider si son entreprise est à vendre ou pas. »

C’est la même chose si quelqu’un arrête chez vous pour vous dire qu’il aime votre maison et souhaite l’acheter. Vous n’êtes pas obligé de la vendre. C’est votre choix. C’est votre maison.

Germain Lamonde

Viavi avait offert 7,50 $ US par action le 16 juin. En repoussant cette proposition, Germain Lamonde avait fait savoir que Viavi avait présenté en novembre une première proposition à 4,75 $ US par action avant d’offrir 5,25 $ US en mai.

« Le titre n’a rien fait depuis 20 ans en Bourse. Si j’étais actionnaire, je serais vraiment furieux », commente Stephen Takacsy, de la firme Gestion Lester. « Tu empêches les petits actionnaires de faire 2 $ US de plus par action. C’est 33 %. C’est beaucoup d’argent. Ce n’est vraiment pas correct. »

Ce gestionnaire de portefeuille estime que le conseil d’administration est un peu coincé dans ce dossier puisque l’actionnaire de contrôle rejette les offres de Viavi.

Néanmoins, Stephen Takacsy croit que Germain Lamonde devrait au moins offrir le même prix que Viavi pour fermer le capital.

Le gestionnaire d’actifs torontois Chris Guthrie, de la firme Hillsdale, dit avoir liquidé sa participation dans Exfo le 7 juin, jour de l’annonce de l’opération de fermeture par Germain Lamonde. « Si Exfo avait les attributs d’un placement à long terme fructueux, Hillsdale se battrait pour obtenir une juste valeur pour ses clients. Mais puisque ce n’est pas le cas, nous avons vendu avec joie notre position », dit-il.

Hillsdale était l’un des cinq plus gros actionnaires d’Exfo.

L’action d’Exfo valait 3,70 $ US au NASDAQ avant l’annonce de l’offre de fermeture du capital par Germain Lamonde. Le titre a bondi de 60 % le jour de cette annonce et se maintient tout près de 6 $ US depuis ce jour-là.

« Exfo n’a jamais été à vendre »

« Exfo n’est pas à vendre et n’a jamais été à vendre », lance Germain Lamonde d’entrée de jeu.

« J’ai toujours refusé les offres et je vais refuser les prochaines. J’ai toujours été très clair, les centaines de fois où j’ai été approché. Je n’ai pas l’intention de vendre Exfo aujourd’hui. Ni dans trois ans. Dans dix ans, Exfo sera une entreprise québécoise et j’en suis fier. La vente n’est pas une option. C’est important de créer de la richesse ici et ça fait partie de mes convictions personnelles. »

Exfo, dont le chiffre d’affaires est de 265 millions US, a 700 de ses 2000 employés au Québec.

L’actionnaire de contrôle d’Exfo explique que l’idée de fermer le capital vise à répondre à la demande d’un certain nombre d’actionnaires.

Des actionnaires m’ont approché à plusieurs reprises pour me demander si je voulais créer une opportunité de liquidités. Certains actionnaires trouvent que c’est une action difficile à négocier étant donné qu’il y a très peu d’actions en circulation et que la grande majorité des actions m’appartiennent.

Germain Lamonde

Germain Lamonde souligne qu’un comité indépendant du conseil a fait un travail de fond sur une longue période qui a mené à une négociation pour établir le prix jusqu’où il était prêt à aller.

La Banque Nationale et Investissement Québec sont les partenaires financiers de Germain Lamonde dans son projet de fermeture du capital.

« Mon offre à 6 $ US par action est très juste et définitive. Elle est en ligne avec l’évaluation d’une firme externe (Toronto-Dominion) qui tenait compte du prix que pourrait payer un acquéreur stratégique, c’est-à-dire un acquéreur qui coupe les dépenses et les emplois », dit-il.

« Cela a fait monter le prix bien au-delà des prix que Viavi avait offerts dans le passé avant l’annonce de la fermeture du capital. Les actionnaires auront le choix le 13 août de demeurer dans un contexte d’une entreprise publique cotée en Bourse, avec les avantages et les inconvénients que ça représente, ou de saisir l’occasion de liquidité donnée par le fondateur avec une prime supérieure à 60 % par rapport au cours boursier juste avant l’annonce. »

Il affirme haut et fort que son offre n’est pas opportuniste.

Au contraire, car la plupart des offres de privatisation se font avec des primes de 20 % à 35 %. Je suis allé avec une offre généreuse dès le départ.

Germain Lamonde

Puisque Viavi sait depuis longtemps qu’Exfo n’est pas à vendre, il ne fait aucun doute selon lui qu’elle ne souhaite que faire dérailler le processus en cours.

Il est cependant facile de comprendre pourquoi Viavi aimerait acquérir son principal concurrent dans le marché des solutions de mesure et de tests de réseaux de communications.

« Ensemble, on contrôlerait 80 % des parts de marché mondial, dit Germain Lamonde. Dans plusieurs domaines, Exfo est à 50 %, 40 % et 30 %. Ensemble, on est souvent entre 60 % et 80 %. »

La pression sur les prix risquerait donc de disparaître avec une fusion des deux entreprises.

« Mais est-ce que ce serait dans l’intérêt des clients comme Bell, Telus, Rogers, Vidéotron et autres Verizon partout sur la planète ? Car 95 des 100 plus grands opérateurs du secteur comptent sur Exfo pour les aider à déployer économiquement des réseaux de télécommunications fiables », dit Germain Lamonde.

« C’est une question théorique, car je ne vendrai pas », précise-t-il.