Pour la première fois depuis sa création en 1984, on ne connaît pas l’identité de tous les actionnaires du Cirque du Soleil ni l’importance de leur participation. Au moins l’un d’eux est une société en commandite créée aux îles Caïmans, un paradis fiscal.

Lors de l’arrivée du nouveau groupe de propriétaires en novembre dernier à la suite du processus de restructuration, le Cirque a dévoilé ses quatre actionnaires les plus importants. Il s’agit de firmes d’investissement privé spécialisées notamment dans le marché de la dette. La firme canadienne Catalyst Capital est l’actionnaire le plus important, suivie en ordre d’importance par les firmes américaines Sound Point Capital, CBAM Partners et Benefit Street Partners. Ces trois firmes américaines se spécialisent toutes dans les stratégies de crédit et de dettes. Catalyst, Sound Point et CBAM Partners ont toutes un représentant au conseil d’administration du Cirque.

En pratique, le Cirque est aussi détenu par d’autres fonds – au départ des fonds de dettes dont les dettes ont été reconverties en actions quand les créanciers sont devenus actionnaires du Cirque, une fois la restructuration achevée.

En consultant le registre des entreprises du Québec, on apprend aussi l’existence de deux autres actionnaires minoritaires du Cirque : les fonds Sculptor Special Master Fund Ltd et ABRY Advanced Securities Fund III L.P.

Le Cirque du Soleil a indiqué ne pas être autorisé à indiquer le nombre, l’identité et la participation (en pourcentage) de ses actionnaires.

« Tous nos efforts sont présentement concentrés sur la réouverture prochaine de nos spectacles. Nous sommes heureux et privilégiés de pouvoir compter sur la collaboration de nos nouveaux actionnaires et des dirigeants du conseil d’administration qui ont démontré à maintes reprises leur confiance envers l’équipe de direction et l’entreprise. Le Groupe Cirque du Soleil suscite l’émerveillement dans le monde entier depuis plus de 37 ans maintenant, et nous attendons tous avec impatience ce moment où nous remonterons sur scène – très bientôt », a indiqué par courriel le Cirque du Soleil.

Depuis 1984, le Cirque a toujours dévoilé l’identité de tous ses actionnaires, ainsi que leur participation respective – même si ce n’est pas une obligation juridique au Québec.

« Les entreprises devraient adopter naturellement une transparence accrue », dit François Dauphin, PDG de l’Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques.

En vertu des lois québécoises, les entreprises privées au Québec doivent divulguer leurs trois actionnaires les plus importants au registre des entreprises. Elles doivent aussi divulguer si l’un des actionnaires est majoritaire.

Le Cirque a ainsi divulgué au registre des entreprises du Québec les noms des fonds Catalyst Fund Limited Partnership V, Sculptor Special Master Fund Ltd et ABRY Advanced Securities Fund III L.P. Aucun d’entre eux n’est majoritaire.

En tenant compte de leurs investissements répartis dans les différents fonds actionnaires du Cirque, Sound Point Capital, CBAM Partners et Benefit Street Partners sont respectivement les deuxième, troisième et quatrième actionnaires en importance du Cirque (devant les fonds de Sculptor et ABRY).

Deux actionnaires québécois inconnus

De 1984 à 2015, le Cirque du Soleil a été majoritairement détenu par des intérêts québécois. Depuis novembre 2020, on ne compte pas d’intérêts québécois parmi ses actionnaires les plus importants.

L’entreprise a toutefois révélé à La Presse avoir deux actionnaires résidant au Québec, sans toutefois avoir la permission de les nommer publiquement.

Le Groupe CH, la Caisse de dépôt et placement du Québec, le Fonds de solidarité FTQ, Investissement Québec, le Mouvement Desjardins, Claridge et le cofondateur du Cirque Guy Laliberté ont confirmé à La Presse ne pas être actionnaires du Cirque. La Banque Nationale n’a pas souhaité répondre à cette question.

Îles Caïmans

L’un des actionnaires minoritaires, le fonds ABRY Advanced Securities Fund III L.P., est une société en commandite créée aux îles Caïmans, un paradis fiscal, et régie par les lois de ce paradis fiscal.

Ce fonds de dettes, géré par la firme de Boston ABRY Partners, est aussi enregistré dans l’État du Massachusetts comme une société étrangère régie par les lois des îles Caïmans. ABRY Partners n’a pas répondu aux questions de La Presse au sujet de son fonds dans les îles Caïmans.

Les îles Caïmans sont considérées comme un paradis fiscal puisqu’il n’y a pas d’impôt pour les entreprises et les individus. Elles sont notamment une destination très populaire auprès des fonds d’investissement.

Le fonds Sculptor Special Master Fund Ltd, un autre actionnaire minoritaire du Cirque, est géré par la firme new-yorkaise Sculptor Capital Management. Pour ce fonds, le Cirque a inscrit au registre des entreprises du Québec l’adresse de Sculptor Capital Management à New York. Le registre des entreprises de l’État de New York ne comporte pas de société avec ce nom. Par contre, une société avec le même nom (Sculptor Special Master Fund Ltd) est inscrite au registre des entreprises des îles Caïmans. Sculptor Capital Management n’a pas répondu aux questions de La Presse qui cherchait à savoir si c’est bien cette société des îles Caïmans qui est actionnaire du Cirque.

De 2015 à 2020, les deux principaux actionnaires du Cirque, les fonds d’investissement TPG (États-Unis) et Fosun (Chine), détenaient aussi leur participation par l’entremise de sociétés aux îles Caïmans.

Les actionnaires du Cirque du Soleil au fil des ans

1984-2001 : Guy Laliberté (50 %), Daniel Gauthier (50 %)

2001-2008 : Guy Laliberté (100 %)

2008-2015 : Guy Laliberté (80 %), Dubai World (20 %)

2015-février 2020 : TPG (55 %), Fosun (25 %), Caisse de dépôt (10 %), Guy Laliberté (10 %) – la Caisse a acquis les 10 % de Guy Laliberté en février 2020