Des dizaines de femmes ont lancé jeudi une nouvelle action en justice contre le géant de la pornographie Mindgeek, dont les bureaux sont situés à Montréal, accusant ce dernier d’avoir « intentionnellement […] profité » d’elles pour diffuser des vidéos à caractère sexuel en ligne sur le site Pornhub.

« Il s’agit d’une affaire de viol, pas de pornographie. C’est une affaire de viol et d’exploitation sexuelle des enfants », martèle le cabinet d’avocats international Brown Rudnick LLP dans sa poursuite, qui a été déposée jeudi au Tribunal du district central de la Californie, aux États-Unis.

Dans le document, que La Presse a obtenu, on peut également lire que plusieurs plaignantes étaient mineures au moment des faits reprochés. Le groupe accuse les administrateurs de Mindgeek d’avoir « adopté un modèle commercial dans lequel ils ont permis aux utilisateurs de remplir leur plateforme avec pratiquement n’importe quel type de contenu pornographique ».

Les juristes accusent aussi l’entreprise d’analyser « soigneusement les utilisateurs et les autres qui ont été attirés par un tel contenu pour les inciter à charger plus, regarder plus, et vivre davantage sur la plateforme Mindgeek ».

« MindGeek est la société de pornographie en ligne la plus dominante dans le monde. C’est aussi l’une des plus grandes entreprises de trafic humain au monde. Et c’est probablement le plus grand dépôt non réglementaire de pornographie juvénile en Amérique du Nord et au-delà », insiste le cabinet à ce sujet, décrivant MindGeek comme une entreprise criminelle qui s’apparente à celle dépeinte dans The Sopranos.

Le cabinet Rudnick LLP affirme aussi que Pornhub et MindGeek « ont ​​sciemment profité de vidéos illustrant le viol, l’exploitation sexuelle d’enfants, la pornographie vengeresse, la traite et d’autres contenus sexuels non consensuels ». Si pour l’instant, aucune somme n’est réclamée, les avocats ne cachent pas que des centaines de millions pourraient être versés aux victimes, en dommages.

Une poursuite « absurde », affirme Pornhub

Dans une déclaration envoyée aux médias jeudi, le groupe Pornhub affirme qu’il « examine et enquête actuellement sur la plainte déposée aujourd’hui en Californie ».

Les allégations contenues dans la plainte selon lesquelles Pornhub est une entreprise criminelle qui traite des femmes […] sont tout à fait absurdes, complètement imprudentes et catégoriquement fausses.

Extrait d’une déclaration de Pornhub, qui dit avoir « une tolérance zéro pour le contenu illégal ».

Pornhub s’en prend aussi directement à Michael Bowe, l’avocat qui pilote le dossier, soutenant qu’il est « un soldat de l’effort d’extrême droite pour fermer l’industrie du contenu pour adultes ». « Bowe a été le pitbull légal aligné avec des groupes fanatiques qui embrassent les idéologies extrémistes et les théories du complot QAnon tout en se faisant passer pour des organisations anti-traite afin de mener leur guerre sainte contre la pornographie légale et les travailleuses du sexe », martèle-t-on.

« Nous sommes résolument solidaires de toutes les victimes d’abus », conclut l’organisation, en disant avoir déjà interdit les téléchargements d’utilisateurs non vérifiés et étendu ses « processus de modération ». « Nous n’avons pas l’intention de laisser les nuances racistes et le langage hyperbolique du procès détourner l’attention du fait que Pornhub a mis en place une politique de sûreté et de sécurité qui surpasse celle de toute autre plateforme majeure sur l’internet. »

En décembre dernier, Pornhub avait été la cible d’une autre poursuite intentée en Californie : 40 femmes y soutiennent que le site pornographique continue de s’enrichir avec des vidéos qui ont été publiées sans leur consentement.

« La pointe de l’iceberg »

L’action en justice ne représente que « la pointe de l’iceberg », affirme Laila Mickelwait, fondatrice et présidente du Justice Defense Fund et instigatrice du mouvement #traffickinghub. Mme Mickelwait, qui a lancé l’an dernier une pétition pour dénoncer les activités de Mindgeek qui a déjà recueilli plus de 2 millions de signatures, soutient avoir parlé à plus d’une centaine de victimes alléguées au cours de la dernière année.

« C’est très, très important, cette action en justice, a-t-elle dit à La Presse. Cette action vise à rendre justice à 34 femmes dont les vies ont été détruites par Pornhub et Mindgeek. »

La chercheuse et militante dénonce vigoureusement l’« inaction » des autorités canadiennes envers Mindgeek, qui a diffusé des vidéos de pornographie juvénile sur Pornhub jusqu’à ce qu’une enquête du New York Times fasse la lumière sur cette situation. « J’ai été dégoûtée par l’absence de réponse des autorités canadiennes, sur les façons très évidentes dont Mindgeek a violé les lois canadiennes en distribuant de la pornographie juvénile, a-t-elle lancé. Ils étaient au courant de plusieurs cas. »

Elle espère que l’action intentée jeudi en Californie pourra servir de « feuille de route » pour le FBI, le département de la Justice des États-Unis et la GRC « pour punir [les] dirigeants [de Mindgeek] et les envoyer en prison ».

Le tout survient alors que jeudi, à Ottawa, un comité parlementaire recommandait que les Canadiens victimes de la publication d’une image ou d’une vidéo en ligne sans leur consentement sur des sites comme Pornhub aient le droit d’exiger que ce contenu soit retiré immédiatement.

Dans un rapport publié jeudi, le comité permanent de l’accès à l’information, de la protection des renseignements personnels et de l’éthique recommande également que les plateformes en ligne, comme celle de la société montréalaise MindGeek, soient tenues responsables quand elles n’ont pas su empêcher le téléchargement de matériel d’exploitation sexuelle d’enfants, de contenu montrant des activités non consensuelles ou téléversé à l’insu de toutes les parties.

Avec La Presse Canadienne