Près de 1 million de poulets ont été euthanasiés depuis le début de la grève à l’usine d’abattage d’Exceldor coopérative, du jamais vu au Québec. Alors que le ministre du Travail, Jean Boulet, propose de nommer un arbitre qui pourrait mettre fin au conflit, les Éleveurs de volailles du Québec doivent actuellement composer avec une demande en constante augmentation.

Exceldor a accepté la proposition d’arbitrage, alors que le syndicat préfère attendre et poursuivre le processus de médiation.

« La demande pour le poulet est plus forte que jamais : la restauration reprend, la saison des barbecues est commencée, affirme le président de l’association, Pierre-Luc Leblanc, à La Presse. On nous demande d’accroître notre production, mais on n’a pas de capacité d’abattage. »

Bien qu’il nous ait été impossible d’obtenir des chiffres pour illustrer la demande actuelle, des statistiques démontrent que la consommation de poulet est en hausse au pays (voir capsule) et est particulièrement importante pendant la saison estivale.

Dans une rare sortie publique, Joël Cormier, vice-président principal, division poulet, d’Exceldor coopérative, a déploré, mardi, le fait que les rencontres de médiation visant à faire avancer les négociations pour mettre fin à la grève à l’usine d’abattage de Saint-Anselme, dans Chaudière-Appalaches, évoluent à un rythme beaucoup trop lent.

Le conflit dure depuis le 23 mai. « On demande au gouvernement, par des moyens légaux, de mettre en place une trêve pour qu’on puisse continuer la négociation, mais d’arrêter le gaspillage », a dit M. Cormier.

Le ministre Jean Boulet a, pour sa part, proposé aux deux parties de nommer un arbitre afin de trancher et de mettre fin au conflit impliquant 550 travailleurs, plus d’une semaine après avoir mandaté une médiatrice pour tenter de dénouer l’impasse.

« Bien que cette usine soit importante dans la chaîne de transformation alimentaire au Québec, aucune législation au monde ne restreint le droit de grève dans le secteur de la transformation alimentaire, indique le ministre dans une déclaration officielle envoyée à La Presse. Dans tous les cas, il appartient au Tribunal administratif du travail de déterminer si l’entreprise doit maintenir des services essentiels. »

« À la demande des deux parties, je peux nommer un arbitre qui tranchera le litige, poursuit-il. Cette demande de nomination d’arbitre mettra immédiatement fin à la fois au conflit et au gaspillage alimentaire. La balle est dans le camp des parties. J’attends leur réponse à cette proposition. »

Du côté du syndicat des Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce, on souhaite « donner une chance à la médiation », fait savoir la porte-parole Roxane Larouche. Le syndicat ne souhaite donc pas emprunter la voie de l’arbitrage pour le moment. « Le processus de médiation progresse. »

« Il y a une ouverture des deux côtés », dit Mme Larouche, ajoutant que la rencontre tenue lundi a duré plusieurs heures. « On n’est pas à l’arrêt. Est-ce que ça pourrait aller plus vite ? Oui. »

Les salaires et les assurances comptent parmi les principaux points de mésentente. Les syndiqués souhaitaient obtenir un salaire de 25 $ l’heure. En mai, on leur aurait offert une rémunération passant de 20,71 $ à 22,51 $ l’heure. La proposition aurait été rejetée. Selon Roxane Larouche, au-delà des salaires, le climat de travail toxique et malsain serait le nœud du problème.

Exaspération

Mais du point de vue d’Exceldor, les choses n’évoluent pas assez vite. « On est à la quatrième semaine et rien ne bouge, rappelle M. Cormier. On est à 1 million d’oiseaux [euthanasiés]. Si on continue comme ça, la semaine prochaine, ça va être 1,5 million, dans deux semaines, 2 millions d’oiseaux. C’est assez. » L’entreprise calcule que quatre millions de repas ont été gaspillés jusqu’à maintenant.

La prochaine rencontre était auparavant prévue vendredi. Un délai beaucoup trop long, selon lui. « De lundi à vendredi, ça va être 400 000 oiseaux euthanasiés de plus, souligne-t-il. Comme société, c’est inacceptable qu’on tolère ça. » En soirée, mardi, la médiatrice a finalement convoqué les deux parties à une rencontre, jeudi.

Ralentissements dans d’autres usines

Par ailleurs, l’arrêt des activités à l’usine de Saint-Anselme, où on transforme 1 million de volailles par semaine (différentes découpes de poulet cru, entier ou en pilon), a des impacts sur d’autres installations d’Exceldor où les activités tournent au ralenti. Une partie du poulet frais de Saint-Anselme alimente des usines de transformation, comme celle de Saint-Bruno-de-Montarville, qui en font des croquettes, des ailes et des poitrines assaisonnées précuites, par exemple.

« On a trois usines qui dépendent de l’approvisionnement de Saint-Anselme pour faire de la deuxième et troisième transformation, confirme Joël Cormier. Ces usines-là sont impactées par le manque de matière première. Jusqu’à ce jour, on a maintenu les conditions de rémunération de nos employés même si le travail n’était pas là. Ils n’ont pas à faire les frais de Saint-Anselme. Ceci étant dit, c’est une question [qu’on se pose] : qu’est-ce qu’on va devoir faire s’il n’y a pas de solution ? En ce moment, les quarts de travail ne sont pas tous occupés à 100 %. »

Restaurateurs et supermarchés

L’approvisionnement en poulet frais représente un véritable casse-tête pour les détaillants et les restaurateurs. Olymel, qui fait également de l’abattage de poulets, a pris en charge 15 % des volailles destinées à Exceldor. Au cours des dernières semaines, des rôtisseries comme St-Hubert, Benny&Co. et Au Coq n’ont pas caché que trouver les quantités de volailles dont elles avaient besoin était devenu un défi quotidien. Dans certains comptoirs de viande, le poulet frais se fait plus rare, a également confirmé Jean-François Belleau, directeur des affaires gouvernementales et publiques du Conseil canadien du commerce de détail.

Pourquoi euthanasier des poulets ?

Parce que la grève à l’usine d’Exceldor réduit les capacités d’abattage. Les volailles destinées aux rôtisseries doivent atteindre un poids de 2,3 kg avant d’être abattues. Normalement, les poulets mettent 36 jours à atteindre cette taille. « On a dans nos bâtiments des normes de bien-être animal. On ne veut pas entasser nos oiseaux, souligne M. Leblanc. En n’ayant pas cette capacité d’abattre, on est obligés de garder des poulets 40, 41 jours. En abritant des oiseaux plus gros, les règles de bien-être animal ne sont plus respectées. L’oiseau continue de grossir, mais la maison n’est pas plus grande. » Exceldor a donc recours aux services d’une entreprise spécialisée qui se rend à la ferme pour euthanasier les oiseaux. Ceux-ci sont ensuite transformés en sous-produit : farine de viande, huile. La limitation des naissances ne semble pas une option privilégiée. « La roue n’arrête pas aussi vite. Une fois que la poule a pondu l’œuf, il prend 21 jours avant de devenir un poussin. Ensuite, 36 jours pour qu’il arrive à maturité. Si on arrêtait la production, on ne verrait les effets que dans une soixantaine de jours. » Au lieu de les euthanasier, pourquoi ne pas les donner à des organismes ? « On vend des oiseaux avec des pattes et des plumes. Ils ne sont pas aptes à la consommation. Il y aurait peut-être plus de maltraitance d’oiseaux de cette façon-là que ce qui est fait aujourd’hui. »

Consommation de poulet totale au Canada

Moyenne mensuelle, été 2017 : 103 742 669 kg

Moyenne mensuelle, été 2018 : 111 440 770 kg

Moyenne mensuelle, été 2019 : 113 675 181 kg

Source : Les Producteurs de poulet du Canada