(New York) La révolte de jeunes banquiers de Goldman Sachs contre les semaines de 100 heures va au-delà des critiques envers une firme connue pour son âpreté, mettant en lumière les conditions de travail difficiles de nombreux établissements financiers en temps de COVID-19.

Les complaintes d’une élite grassement rémunérée ont parfois été tournées en dérision dans un pays où le chômage a explosé, où la reprise exclut encore des millions de personnes et aux risques auxquels s’exposent ceux ne pouvant pas travailler à domicile, comme les soignants ou les employés de supermarchés.

Mais beaucoup de cols blancs se sont identifiés à ces jeunes de la finance, qui subissent des journées interminables ponctuées de multiples réunions sur Zoom.

Les griefs exprimés par les jeunes banquiers « reflètent un problème plus large », estime Kevin Delaney, sociologue à Temple University. « Les gens ont le sentiment que les frontières entre le travail, les loisirs et la vie se sont évaporées ».

Dans un document largement relayé sur les réseaux sociaux, treize analystes fraîchement embauchés par Goldman Sachs expliquent que leur santé mentale et physique s’est considérablement dégradée.

« À un moment, je ne mangeais pas, je ne me douchais pas, je ne faisais rien d’autre que travailler du matin jusqu’après minuit », y raconte l’un d’entre eux.  

Pour éviter les « burn-out », la nouvelle patronne de la banque Citigroup, Jane Fraser, a banni cette semaine les réunions vidéo le vendredi et incité ses salariés à prendre des vacances. Elle-même prendra quelques jours fin mars pour revenir « avec un cerveau plus frais », a-t-elle assuré.  

Le PDG de Goldman Sachs, David Solomon, a, lui, promis d’apporter des renforts aux jeunes analystes et de mieux faire respecter la règle bannissant le travail le samedi. Une politique théoriquement en place depuis plusieurs années.

Frustration

Bûcher jusque tard dans la nuit n’est pas inhabituel chez Goldman Sachs, explique à l’AFP un salarié entré dans l’établissement il y a près de trois ans et souhaitant garder l’anonymat.  

« Quand on prend un boulot en banque d’investissement, on sait à quoi s’attendre », affirme-t-il. Et avec l’expérience, les horaires se réduisent.  

Mais pour les premières années en télétravail, « il n’y a pas eu de formation en personne, ils ne peuvent pas aller vite fait demander un conseil à un supérieur, il n’y a pas la camaraderie », reconnaît-il.

La « frustration » a été aussi alimentée, selon lui, par le fait que Goldman Sachs n’a pas forcément offert aux jeunes analystes en télétravail les mêmes petits avantages que d’autres géants de Wall Street, comme le remboursement des dîners ou des ordinateurs.

Qu’il s’agisse des banques, des cabinets de conseil ou d’avocats, les recruteurs sont toujours très clairs avec les candidats sur l’intensité du travail qui les attend, affirme Paul McDonald, de l’agence de recrutement Robert Half.  

Mais il ne faut pas oublier que les derniers arrivés « ont terminé l’université en ligne, n’ont pas pu avoir leur traditionnelle cérémonie de diplômes et sont entrés dans l’entreprise en télétravail », remarque-t-il.  

Nouvelle génération

Certes, ils font partie d’une nouvelle génération à qui on a appris à « lever la main » et « à se faire entendre », relève le spécialiste des ressources humaines. De nombreux cadres « prennent cela comme une remise en question de leur autorité, mais ils veulent en fait juste participer, comprendre les règles du jeu et avoir voix au chapitre ».  

La pandémie et la pression pour embaucher plus de femmes et de personnes issues des minorités permettront peut-être de faire évoluer les règles.

Il est essentiel que les grandes entreprises « montrent l’exemple », estime Jennifer Moss, une chroniqueuse qui a étudié de près la montée d’un surmenage « institutionnalisé » parmi les employés.  

Des annonces comme celles de Citigroup sont « un bon début », remarque-t-elle : il ne suffit pas de proposer des solutions de bien-être comme des applications de yoga, les mesures doivent venir d’en haut.

De nombreuses entreprises se préparent aussi à être plus flexibles sur l’organisation de travail.

Faire bouger les choses « sera compliqué » dans les banques d’investissement, souligne toutefois Kevin Delaney, sociologue à Temple University.

Les banquiers doivent répondre à des clients répartis sur tous les fuseaux horaires.

Surtout, le principal objectif reste d’y « faire de l’argent », un but « sans fin », remarque M. Delaney. Les bonus dépendent encore largement des profits ramenés à l’entreprise.