La Presse a eu accès à un secret bien gardé de l’est de Montréal, l’imprimerie de la société américaine Scientific Games, située en face du métro L’Assomption. Peu connue du grand public, cette usine imprime environ un tiers des billets de loterie instantanée de Loto-Québec, ainsi que des billets d’un peu partout dans le monde.

Vu qu’imprimer des billets de loterie revient, à peu de choses près, à imprimer de l’argent, l’endroit est bien gardé. En temps normal, il est interdit d’y pénétrer, encore moins d’y prendre des photos. Dès l’entrée du bâtiment, le visiteur doit se soumettre à un thermomètre laser, remplir un questionnaire de sécurité, enfiler des bottes de sécurité et abandonner son cellulaire.

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La presse de l’usine de Scientific Games qui imprime à une vitesse de 304 mètres par minute.

Le cœur de l’imprimerie est évidemment la presse, installée sur place en 2009. Richard Gratton, vice-président aux services techniques, en parle comme s’il s’agissait de son bébé. En effet, c’est lui qui a été mis en charge de son installation, en remplacement des sept presses qui étaient utilisées auparavant.

L’installation du mastodonte d’une longueur de 68,5 mètres a pris 11 mois et permis à l’imprimerie de tripler sa production de 2,5 milliards d’unités par année à un peu plus de 7 milliards aujourd’hui.

Quand elle roule à sa capacité maximale de 304 mètres (1000 pieds) par minute, la presse avale un énorme rouleau de carton en une vingtaine de minutes. Chaque rouleau est ainsi transformé en 500 000 billets individuels.

Le changement de rouleau peut se faire sans arrêter la presse, qui fonctionne 24 heures sur 24. L’opérateur dispose de sept secondes de carton sorti d’avance pour effectuer le changement qui en prend cinq.

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Les billets sont photographiés à chaque étape du processus d’impression pour en assurer la traçabilité.

Le jour de la visite de La Presse, l’imprimerie produisait une commande de la Française des jeux pour son billet Cash, la loterie instantanée la plus vendue en France. Plusieurs centaines de rouleaux seront consacrés à l’impression de cette seule commande.

À chaque étape de l’impression, une couche d’encre est ajoutée et le billet est pris en photo afin d’assurer la traçabilité du produit. L’impression doit être parfaite et tous les billets doivent être rigoureusement identiques. « Les gens cherchent des signes dans les billets s’il y a des irrégularités », indique M. Gratton pendant la visite.

L’installation de la nouvelle presse a également permis de passer de l’impression avec des solvants à une encre à base d’eau, dont les formules sont développées sur place.

« Ç’a été un défi au niveau de la chimie, mais ça nous a permis de diminuer les émissions de COV [composés organiques volatils] de 90 % », explique Marc-André Doyon, directeur de l’usine.

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À l’étage de la presse se trouve la salle d’impression des informations aléatoires qui déterminent si un billet est gagnant ou non.

La presse ayant été conçue pour un édifice plus long que celui qui l’abrite, M. Gratton et son équipe ont dû la modifier pour qu’elle fonctionne sur deux niveaux. C’est dans la salle se situant à l’étage que l’information aléatoire de chaque billet est imprimée. C’est là qu’on peut voir si un billet est gagnant ou pas, avant que l’encre « grattable » ne soit ajoutée.

N’entre pas qui veut dans cette salle. « Même en tant que directeur de l’usine, je n’y ai pas accès », souligne M. Doyon.

Afin de renforcer encore la sécurité, le système informatique qui gère les informations aléatoires n’est pas connecté au monde extérieur. « C’est complètement hors ligne. Pour entrer dans nos ordinateurs, ça prendrait une entrée à la Mission : Impossible dans l’imprimerie », explique le directeur.

Les clients, qui sont généralement des loteries nationales, fournissent un tableau de lots à l’entreprise qui indique les probabilités de gagner et les montants associés. Une fois que ces paramètres sont entrés dans le système informatique, les données sont cryptées et les employés de l’imprimerie n’ont plus aucun moyen de savoir quel billet est le gagnant du gros lot.

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Le système informatique de la presse, installé dans deux conteneurs, est coupé du monde extérieur.

Après être passés à la presse, les billets sont pliés, coupés et empaquetés sur trois chaînes de montage presque entièrement automatisées. La plupart des billets traditionnels passent par les chaînes standards, mais c’est la dernière chaîne de montage complexe qui fait la renommée de l’usine de Montréal au sein de la multinationale.

« On est reconnus comme l’usine qui a la capacité de produire des produits à valeur ajoutée plus complexes », raconte Marc-André Doyon. L’usine possède son propre atelier de prototypage pour concevoir sa machinerie et ses procédés.

C’est ainsi qu’elle arrive à produire des calendriers de l’avent, des boîtes de bingo ainsi que divers billets ensachés, comme les Célébration de Loto-Québec.

Cette spécialisation est due en grande partie à la qualité du personnel qui l’a développée, selon M. Gratton. L’usine emploie 240 personnes dont la moyenne d’ancienneté sur place est de 20 ans.

M. Doyon est lui-même employé de l’usine depuis 20 ans. Il y est entré pour un emploi d’été pendant ses études et n’est jamais parti. Il se retrouve aujourd’hui à être le directeur de l’usine et le plus haut dirigeant de Scientific Games au Canada.

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Richard Gratton, vice-président aux services techniques, sur une chaîne de montage de billets assemblés en livrets.

De propriété québécoise à française, puis américaine

L’usine est devenue la société de Scientific Games en 2007, lorsque cette dernière l’a rachetée de la compagnie française Oberthur.

Avant de passer en mains étrangères, l’imprimerie appartenait à son fondateur Yvon Boulanger. Son entreprise s’occupait d’impression sécurisée pour les banques et les gouvernements lorsqu’il a été contacté par Loto-Québec en 1970 pour imprimer les premiers billets de la Mini.

L’entreprise a historiquement été le fournisseur principal de billets instantanés de la société d’État québécoise, même après son rachat par des intérêts américains.

Cette situation a changé en 2014 lorsque Scientific Games a perdu un appel d’offres contre la société manitobaine Pollard qui est maintenant responsable de la majorité des contrats d’impression de Loto-Québec. L’imprimerie de Montréal exporte aujourd’hui environ 90 % de toute sa production.

« Il y a une certaine fierté pour les employés quand on fabrique un produit de Loto-Québec. On va tout mettre en œuvre pour remporter le prochain appel d’offres », promet Marc-André Doyon.