(Montréal) Les créanciers du Cirque du Soleil n’auront peut-être pas besoin d’un coup de pouce financier de la part des contribuables québécois pour relancer l’entreprise de divertissement, mais leur engagement entourant le maintien du siège social au Québec ne tiendra plus après cinq ans.

La proposition des prêteurs dirigés par Catalyst Capital Group a été acceptée par le conseil d’administration de l’entreprise québécoise et sera présentée vendredi devant la Cour supérieure du Québec. Elle devra recevoir l’aval du tribunal afin d’être considérée comme soumission d’amorce — les conditions minimales à respecter pour le dépôt d’offres rivales — dans le cadre de la mise aux enchères de la compagnie, un processus qui devrait culminer vers la fin août.

Privé de revenus depuis la mi-mars en raison de la crise sanitaire provoquée par la pandémie, le Cirque a annulé ses 44 spectacles à travers le monde et a licencié quelque 3480 personnes, dont 1562 au Québec, en se tournant vers la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (LACC). Ses créances totalisent plus de 1,6 milliard US.

« L’acquéreur maintiendra le siège social international et le centre décisionnel à Montréal […] pour une période minimale de cinq ans et par la suite selon l’intérêt supérieur de la compagnie […] tel que déterminé par le conseil d’administration », peut-on lire dans la convention d’achat intervenue entre le Cirque et Spectacle Bidco, l’entité regroupant les créanciers.

Selon le document, le président et chef de la direction de l’entreprise de divertissement (Daniel Lamarre) devra demeurer au Québec, comme c’est actuellement le cas. On n’y retrouve toutefois aucun engagement de la sorte en ce qui a trait au président du conseil d’administration (Mitch Garber, qui réside dans la province). Les actionnaires actuels, le fonds texan TPG Capital, la firme chinoise Fosun et la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ), proposaient que ces deux personnes résident dans la province.

À moins de revenir à la charge avec une offre bonifiée, ce trio risque d’être écarté du portrait puisque son offre ne tient plus.

Le ministre de l’Économie, Pierre Fitzgibbon, n’a pas caché que l’engagement des créanciers à l’égard du maintien du siège social pouvait semer l’incertitude.

« Oui, vous avez raison, a-t-il dit, lorsqu’interrogé dans le cadre d’une entrevue téléphonique. Je présume (que les créanciers) sont des gens qui connaissent le Cirque et qui vont comprendre et accepter que c’est important de conserver le centre décisionnel ici. »

Des centaines de millions

Le groupe de prêteurs, qui détient la dette garantie d’environ 1 milliard US du Cirque, injecterait jusqu’à 375 millions US d’argent frais, selon une source au fait du dossier, mais qui n’est pas autorisée à s’exprimer publiquement. La dette serait réduite à environ 300 millions US. On mettra également sur pied deux fonds totalisant 20 millions US pour verser les sommes dues aux ex-travailleurs et artisans.

« Catalyst et le groupe de créanciers s’engagent à respecter l’histoire du Cirque tout en préparant l’entreprise pour un avenir radieux, a commenté le directeur général et associé de la firme torontoise, Gabriel de Alba. Le vif esprit artistique et innovateur du Québec sera au cœur de notre stratégie. »

La proposition des actionnaires du Cirque était, pour sa part, évaluée à environ 420 millions US. Elle visait l’injection de 300 millions US, notamment en misant sur le prêt de 200 millions US offert par Investissement Québec, et comprenait une disposition qui aurait permis à l’État québécois d’éventuellement racheter les propriétaires étrangers du Cirque.

En échange d’une restructuration de la dette, les créanciers auraient obtenu 45 % de la compagnie ainsi qu’une dette non garantie de 50 millions US. Ils s’opposaient toutefois à ce scénario, puisqu’on ne leur remboursait qu’une fraction de ce qui leur était dû.

« L’apport de capitaux constitue seulement une première étape dans la relance d’un Cirque en santé », a souligné dans une déclaration le trio d’actionnaires, sans indiquer s’il comptait soumettre une proposition bonifiée dans l’espoir de damer le pion aux créanciers.

Encore du temps

Dans le cadre du processus d’enchères, d’autres acquéreurs potentiels auront jusqu’au 18 août pour déposer une offre.

L’entente prévoit que les propositions devront être entièrement financées. Leur valeur devrait être supérieure d’au moins 1,5 million US par rapport à l’entente intervenue avec les créanciers.

Lors d’une audience devant la Cour supérieure, vendredi dernier, l’avocat représentant Québecor avait laissé entendre que le conglomérat comptait tenter sa chance. Toutefois, en soirée jeudi, l’entreprise a annoncé plutôt qu’elle « ne participera pas au processus d’enchères judiciaires qui est maintenant pratiquement terminé ».

Québecor souhaite « ardemment » que les créanciers fassent appel à elle pour la relance du Cirque du Soleil, faisant valoir « son expérience, son capital et son identité québécoise ».

Le cofondateur du Cirque Guy Laliberté, qui a vendu ses dernières actions pas plus tard qu’en février, étudie également le dossier.

Entreprise dans cette dépêche : (TSX : QBR. B)