Une petite école de langues africaines. Rien n’apparaît aussi fragile, quand souffle la tempête pandémique. Elle résiste, malgré tout.

Les écoles rouvriront bientôt, mais pas la sienne. Pas avant l’automne, sans doute.

C’est une toute petite école, sans briques ni mortier, que Guy-Serge Luboya a tout de même bâtie de ses mains.

Elle enseigne les langues africaines et porte le nom d’ELA Jambo.

Il y a un sens, bien sûr : ELA est l’acronyme d’école de langues africaines, Jambo signifie bonjour en swahili.

Sur elajambo.com, la lecture des cours offerts suffit à faire briller un trop chiche soleil : bambara, lingala, swahili, tshiluba, wolof.

Guy-Serge Luboya a enregistré l’entreprise en 2012. C’est en 2015 qu’il a réussi à organiser sa première vraie session, après avoir lui-même donné des cours particuliers de lingala, la langue que parlaient ses parents en République démocratique du Congo. Curieusement, c’est en jouant avec des compatriotes sur les terrains de basketball canadiens que ce francophone, arrivé au pays en 1992, a redécouvert l’idiome national.

Un cours de lingala sur un court de basketball, en quelque sorte…

Cinq ans plus tard, l’école existe toujours, ce qui constitue déjà un exploit.

En 2015, les cours se donnaient dans un petit local commercial, où deux salles de classe avaient été aménagées. Ils sont maintenant offerts dans des locaux loués à l’UQAM.

Au moment des inscriptions, Guy-Serge Luboya occupe un espace de travail partagé, rue Saint-Denis, pour informer et inscrire les élèves potentiels.

Chaque session, d’une durée de 10 semaines, accueille de 50 à 60 élèves. Les cours, donnés le soir, sont assurés par de six à huit collaborateurs.

La session d’hiver s’achevait quand la COVID-19 a commencé à perturber les classes.

« Pendant la dernière semaine de cours, il commençait à y avoir des remarques de quelques étudiants qui ne sont pas venus, qui nous ont écrit pour nous dire qu’ils avaient peur de la COVID-19 », relate-t-il.

« Je ne m’inquiétais pas. Je me disais que tout ça allait passer. »

Le gouvernement a alors appelé à la fermeture des entreprises non essentielles.

C’est sûr que ça a vraiment tout chamboulé. On a annulé notre session de printemps, qui devait commencer à la mi-avril.

Guy-Serge Luboya

Une cinquantaine d’inscriptions se sont volatilisées.

« Pour rebondir, on a transféré ces cours en ligne, par vidéoconférence. »

La formule ne plaît pas à tous, cependant. Une partie seulement des élèves suit les trois cours proposés.

« Je m’accrochais pour tenir la session d’été, mais on se rend compte que ce sera très difficile, constate-t-il encore. Même s’il y a un déconfinement, c’est très difficile de faire la promotion. Les gens ne sont pas très attentifs. »

Depuis bientôt deux ans, la petite entreprise offre aussi des services de traduction et d’interprétation de langues africaines. Plusieurs enseignants de l’école, tous pigistes, sont également traducteurs. « On met plus d’efforts là-dessus ces temps-ci, pendant que c’est un peu plus calme. »

Hélas, le secteur est lui aussi au point mort. En situation d’étranglement budgétaire, « les gens sont prudents dans leurs choix ».

Dans la tempête

Il s’accroche, cependant. « Ce n’est vraiment pas facile, mais on garde le moral, dit-il. Quand on est entrepreneur, on s’attend au danger, on s’expose au risque, mais jamais on n’aurait imaginé un risque comme celui-ci. »

– C’est votre gagne-pain, ELA Jambo ?

« Oui. Je suis à temps plein depuis quelques mois. Quand tout roule comme il faut, ça va bien. »

On sent que la miche est plus mince, ces jours-ci, même s’il se fait discret.

« Un entrepreneur, à la base, c’est quelqu’un qui est fait pour affronter les pandémies », lance-t-il en riant, comme un rappel à lui-même ou une forme d’auto-encouragement. « Pour l’instant, je ne panique pas. »

Si en septembre ce n’est pas revenu comme avant, là je vais commencer à regarder d’autres options.

Guy-Serge Luboya

Chérif Ligan, le collaborateur qui prend en charge depuis 2013 les questions informatiques et la gestion du site web, s’est associé à l’entreprise en janvier dernier. Au pire ou au meilleur moment, selon que l’on considère qu’il est monté à bord alors que la tempête allait s’abattre, ou que le petit navire aurait désormais deux hommes à la manœuvre.

« Justement, j’ai une rencontre ce soir à 18 h avec mon associé », annonce le capitaine Luboya.

Ils veulent se donner un cap pour les prochains mois. La rencontre sera virtuelle, bien sûr, entre les deux partenaires vissés dans leur domicile respectif. « C’est la grande mode, Zoom, maintenant ! », glisse-t-il en rigolant.

Il promet de nous informer des décisions. Et en effet, son courriel est tombé le soir même à 22 h 7.

« Nous avons décidé les trois points suivants, écrit-il.
1) Annulation de notre session d’été et accent sur notre session d’automne commençant en septembre.
2) Concentration sur la traduction et l’interprétation durant l’été.
3) Commencer un processus de numérisation des cours : créer plus de contenus disponibles en ligne et plus flexibles. »

Aussi immatérielle soit-elle, la petite école est toujours debout.