Alors qu’Ottawa songe à forcer Google et Facebook à payer des redevances aux médias d’information, Google vient de faire une première offre d’environ 10 millions par an jugée nettement insuffisante par la grande majorité des médias du pays.

Les médias canadiens d’information ont un autre chiffre en tête : environ 600 millions de dollars par an pour Google et Facebook.

Pourquoi 600 millions ? Il s’agit de la valeur de la redevance suggérée en Australie, pays similaire au Canada, qui est en train d’imposer un cadre de réglementation très strict. Google et Facebook pourraient devoir payer une redevance aux médias d’information pour la publicité générée par les nouvelles sur leurs plateformes. En Australie, Google conteste le montant de 600 millions (il s’agit du montant total pour Google, Facebook et les autres plateformes numériques).

« Nous sommes contents que Google reconnaisse le principe de la valeur de nos contenus, mais nous voulons une compensation similaire à celle des médias en Australie. Nous espérons une conclusion positive dans ce dossier d’ici quelques semaines », dit John Hinds, président et chef de la direction de Médias d’info Canada, qui représente plus d’une centaine de médias d’information écrits.

C’est dans ce contexte que Google a annoncé jeudi un nouveau programme de 1 milliard US sur trois ans destiné aux médias d’information du monde entier. Google propose ainsi de payer un droit de licence pour utiliser le contenu des médias dans une nouvelle section de Google News. Environ 333 millions US par an, c’est beaucoup d’argent. Sauf que Google a généré 162 milliards en revenus mondiaux en 2019. Dont 2,2 milliards US par an en revenus publicitaires avec le contenu des médias d’information, selon les calculs de Jean-Hugues Roy, professeur en journalisme à l’UQAM.

Google n’a pas précisé quel montant serait dépensé au Canada. En se fiant à la taille de l’économie canadienne par rapport aux pays du G20, on arrive toutefois à une estimation de 11,4 millions CAN par an à redistribuer entre les médias canadiens.

Google estime plutôt générer des revenus d’environ 9 millions par an au Canada avec la publicité liée aux articles des médias d’information sur son moteur de recherche.

Selon Google, les actualités ne représentent que 1,5 % des demandes totales sur son moteur de recherche. « Nous reconnaissons le rôle que jouent les nouvelles dans l’éducation et l’information des Canadiens, mais il peut en surprendre certains qu’elles représentent une très petite proportion des sites web que les gens choisissent de consulter à partir de nos résultats de recherche », a indiqué Google par courriel.

La première offre de Google n’a pas suscité beaucoup d’intérêt parmi les grands médias canadiens. Seuls deux médias web canadiens, Narcity Media et Village Media (des hebdos locaux en Ontario), ont été annoncés jeudi comme partenaires de Google.

Ottawa forcera-t-il Google à payer ?

Ce programme mondial de redevances de Google arrive alors que beaucoup des pays du G20 – dont le Canada – regardent avec intérêt le bras de fer que se livrent Google et l’Australie.

Au Canada, le gouvernement Trudeau veut un « cadre réglementaire numérique complet et plus équitable au Canada ». Et l’annonce de Google ne change rien à cet objectif énoncé la semaine dernière dans le discours du Trône.

C’est une question d’équité : ceux qui bénéficient de l’écosystème canadien doivent aussi y contribuer […]. Cela signifie aussi de veiller à ce que les organismes de presse canadiens continuent d’informer et d’outiller nos communautés.

Le cabinet du ministre du Patrimoine canadien Steven Guilbeault, qui examine notamment les modèles de la France et de l’Australie

Coïncidence intéressante : le jour même où Google faisait son annonce, les principaux médias d’information au pays ont eu une rencontre téléphonique avec le ministre Steven Guilbeault pour discuter du dossier des redevances.

La Presse et Le Devoir veulent tous deux qu’Ottawa impose une nouvelle réglementation qui forcerait les géants du web à rémunérer les médias d’information pour la publicité générée par leurs contenus.

« Je veux saluer la vision du ministre Guilbeault dans ce dossier, a indiqué Pierre-Elliott Levasseur, président de La Presse. J’appuie également le discours du Trône du gouvernement fédéral en ce qui a trait à la volonté d’adresser les iniquités qui existent dans le marché de la publicité numérique, qui ont été créées au fil du temps par la dominance de Google et Facebook, et qui sont grandement dommageables pour les médias au Canada. Il s’agit d’un sujet important, qui est d’actualité en ce moment non seulement au Canada, mais dans plusieurs démocraties matures ailleurs dans le monde. »

« Ces initiatives-là [l’annonce de Google] ne remplaceront jamais des règles équitables et universelles que le gouvernement doit imposer, des règles qui assurent une juste contribution de tous les acteurs de l’industrie des médias pour l’exploitation de nos contenus, dit Brian Myles, directeur du Devoir. L’idée rejoint le cœur et l’esprit du rapport Yale : tous les acteurs qui bénéficient du système de production canadien devront y contribuer. »

« Pourquoi on se contenterait de miettes quand on a besoin du pain au complet pour nourrir tout le monde ? », demande Pascale St-Onge, présidente de la Fédération nationale des communications et de la culture (FNCC-CSN), un syndicat qui représente les travailleurs de plusieurs médias.

En Australie, les négociations ont duré 18 mois avant que le gouvernement n’intervienne. Au Canada, elles viennent visiblement de commencer avec l’offre de jeudi. « Google est plus beau joueur que Facebook qui ne redonne rien aux créateurs de contenu, dit le professeur Jean-Hugues Roy. Mais Google peut faire mieux. »