En avez-vous assez de cuisiner sans arrêt depuis le mois de mars ? Manquez-vous d’idées de recettes ? Devez-vous, en plus, remplir quotidiennement la boîte à lunch de la marmaille depuis la rentrée ?

Si vous avez répondu oui à l’une ou l’autre de ces questions, cela vous consolera peut-être de savoir que vous n’êtes pas seuls. De fait, votre état d’esprit et votre épuisement sont tellement généralisés que les entreprises multiplient les initiatives pour vous venir en aide… et maintenir leurs ventes, bien entendu.

IGA, par exemple, vient de lancer un nouvel outil baptisé Tada ! qui vise à faciliter la planification des recettes de la semaine en fonction des rabais affichés dans la circulaire.

[Après six mois de pandémie], le consommateur a besoin d’inspiration, qu’on l’accompagne. Et il y a aussi une certaine insécurité financière présentement. […] Cette nouvelle section de notre application répond très bien à ces deux besoins.

Carl Pichette, vice-président au marketing de Sobeys (propriétaire de l’enseigne IGA)

Carl Pichette précise que son équipe travaille sur Tada ! depuis plus d’un an. L’idée n’est donc pas une réponse aux enjeux provoqués par la COVID-19. Avant tout, le détaillant veut donner un coup de pouce à ses clients qui doivent composer avec la rentrée scolaire. « Mais c’est sûr que la pandémie ajoute de la légitimité à ce projet. »

Du côté de Metro aussi, on profite du combo rentrée scolaire-pandémie pour faire abondamment la promotion en circulaire de repas prêts à manger ou prêts à réchauffer. L’épicier multiplie les slogans : « Les repas sans tracas », « Idéals pour vos lunchs » et « Moins cher qu’au resto ».

Depuis quelques semaines, des pages entières sont consacrées à ses repas préparés (lasagnes), viandes cuites (jambon rôti, pilons de poulet) et sandwichs œuf-bacon pour le déjeuner. Metro a même élaboré un menu à 9,99 $ pour les couples (lundi : deux salades au tofu, vendredi : deux pizzas).

Combattre la lassitude

« Les détaillants veulent exploiter la fatigue de cuisiner. C’est ça qui se passe. Avec le retour en classe, les parents sont crevés, alors il faut que les supermarchés trouvent le moyen d’offrir du temps aux ménages », analyse Sylvain Charlebois, directeur principal du Laboratoire de sciences analytiques en agroalimentaire de l’Université Dalhousie.

En l’absence presque totale de cette « échappatoire » que constituent les repas au restaurant, à la cafétéria du bureau ou dans la foire alimentaire d’un centre commercial, la « lassitude est un danger qui guette le consommateur », ajoute Frédéric Blaise, président et fondateur d’Enzyme, société de marketing spécialisée dans l’agroalimentaire et la santé.

Les études, poursuit-il, démontrent qu’en général, « on a huit mets qu’on reproduit toujours ». Ainsi, « la découvrabilité est un facteur important pour stimuler les ventes au détail ».

Loblaw dans les platebandes de Goodfood

L’offre la plus inattendue, par contre, s’adresse uniquement aux résidants de la grande région de Toronto.

Loblaw (propriétaire de Maxi et de Provigo) y propose, depuis peu, des repas prêts à cuisiner préparés… par 15 restaurants bien connus de la Ville Reine (La Carnita, Fat Lamb Kouzina, Burger’s Priest, etc.).

« Nous sommes dans une position unique pour soutenir les restaurants locaux, en particulier au moment où bon nombre d’entre eux ont des défis concernant l’accueil de clients à l’intérieur », a déclaré Nick Kuriya, vice-président de Loblaw Brands Meal Solutions.

Frédéric Blaise croit qu’il y a « un peu de culpabilité » derrière cette stratégie.

C’est pour l’image publique. Les détaillants peuvent être perçus par les méchantes langues comme des profiteurs, au détriment des restaurateurs. Il y a un geste social et souhaitable au cœur de cette stratégie, c’est sûr.

Frédéric Blaise, président et fondateur d’Enzyme

Les nouvelles boîtes sont vendues sur le site pcchef.ca, qui propose du prêt-à-cuisiner à la Goodfood et Cook it, livré dès le lendemain et sans abonnement (pas au Québec).

La bataille des prochains mois ?

Cette nouvelle offre de Loblaw, ajoute Frérédic Blaise, s’inscrit parfaitement dans le grand défi de l’automne pour les épiciers : « Comment faire pour être une épicerie en brique et mortier de proximité sans manquer le bateau de la livraison à domicile ? »

Sylvain Charlebois croit aussi que la vente en ligne est la grande bataille qui se joue présentement. Et les détaillants ne sont pas les seuls à fourbir leurs armes, fait-il remarquer. Des grossistes (Sysco, Gordon Food Service et Hector Larivée), de même que des transformateurs comme Saputo, s’adressent désormais au grand public. « Il n’y a pas deux jours qui passent sans que j’entende parler d’une entreprise qui n’a jamais vendu en ligne et qui, maintenant, y songe », rapporte l’universitaire.

> (Re)lisez notre texte sur la nouvelle stratégie de Saputo en ligne

Sans aller si loin, Maple Leaf semble aussi vouloir faciliter la préparation des repas et des lunchs. Le géant a lancé une nouvelle gamme de six petites barquettes de viande cuite : cubes de jambon, dinde déchiquetée, bœuf haché légèrement égrainé, etc.

Engouement sans précédent pour le prêt-à-cuisiner

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

Goodfood a réalisé les premiers profits de son histoire le printemps dernier, grâce à une augmentation de ses ventes de 74 % à son trimestre clos le 31 mai.

Les entreprises de repas prêts à cuisiner continuent pour leur part de profiter du télétravail et du fait qu’une partie de la population craint de fréquenter les restaurants.

Goodfood, par exemple, a réalisé les premiers profits de son histoire le printemps dernier, grâce à une augmentation de ses ventes de 74 % à son trimestre clos le 31 mai. La lancée s’est poursuivie puisqu’au cours de l’été, 8000 nouveaux clients ont été recrutés.

L’entreprise s’est par ailleurs dotée d’un nouveau centre de distribution de 45 000 pieds carrés à Montréal « pour soutenir la croissance continue de son offre d’épicerie en ligne ». Depuis le début de l’année, Goodfood vend des produits laitiers, du pain, de la viande, des fruits, des légumes et une foule d’autres aliments à ses membres abonnés aux repas en boîtes.

« Ils ont pris le problème à l’envers, résume Frédéric Blaise. Après avoir érigé une structure de grossiste sans magasins, ils se tournent vers la livraison de produits d’épicerie. […] Pour Goodfood, la pandémie est l’occasion en or de vendre de l’épicerie. Ils ont une clientèle captive. »

Le président, Jonathan Ferrari, a déclaré en août que ce créneau connaissait, de fait, une « forte et constante demande » et que la façon dont les Canadiens « planifient leurs repas et effectuent leurs courses » a été « transformée ».

Cook it tire aussi avantage de la crise. Depuis le 11 mars, le nombre d’abonnés a bondi de 85 %, précise la porte-parole Geneviève Allaire. Autre effet notable : la quantité de commandes s’est maintenue tout l’été alors qu’habituellement, elle diminue de 20 % « à cause de diverses raisons telles que l’ouverture des terrasses et les vacances d’été ».