Le détaillant a des dettes de plus de 358 millions et ne paie plus ses loyers depuis six mois

Après avoir tenté en vain ces dernières semaines de négocier à la baisse le prix de ses loyers, le propriétaire des boutiques Dynamite et Garage, Andrew Lutfy, a décidé de placer son entreprise à l’abri de ses créanciers. La procédure permettra au détaillant montréalais de reprendre les discussions et de fermer entre 5 et 20 % de ses 322 points de vente.

Pour Andrew Lutfy, il est clair que la pandémie « a créé un tsunami pour les entreprises ». Une vague qui a commencé par emporter celles dont les finances étaient déjà précaires. Et qui, aujourd’hui, s’attaque à celles qui battaient des records de vente en début d’année.

C’était justement le cas de Groupe Dynamite, a raconté l’homme d’affaires au cours d’un entretien avec La Presse. Après une « performance record » en 2019, le détaillant surpassait ses prévisions au début de 2020, soutient-il.

Mais les beaux jours ont brusquement fini quand les centres commerciaux ont été forcés de fermer leurs portes. Les ventes de mars, avril et mai ont chuté de 50 % par rapport aux mêmes mois en 2019, selon le rapport du contrôleur responsable du dossier chez Deloitte, Jean-François Nadon.

On y apprend aussi que les loyers non payés des 6 derniers mois totalisent 52 millions de dollars, ce qui a rendu la situation financière de Dynamite « précaire ». En tout, Groupe Dynamite doit 358,5 millions à ses créanciers.

Mardi, l’entreprise de 4300 employés (dont 450 au siège social) a eu recours à la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies. Une « reconnaissance provisoire immédiate aux États-Unis en vertu du chapitre 15 du Code américain des faillites » (U. S. Bankruptcy Code) sera demandée devant le Tribunal des faillites des États-Unis, a-t-on précisé.

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

Le siège social du Groupe Dynamite.

Groupe Dynamite compte 237 magasins au Canada (114 Dynamite et 123 Garage) et 85 aux États-Unis (tous des Garage, sauf trois).

Aux États-Unis pour y rester

Même si le marché américain est difficile et que des points de vente de la Californie et de l’État de New York n’ont pas encore pu rouvrir, Andrew Lutfy jure ne pas vouloir abandonner ce marché. Il a mis 13 ans à le conquérir, justifie-t-il, et « c’est rentable ».

Rappelons qu’en février, Groupe Dynamite a recruté à Hong Kong une nouvelle présidente et cheffe de la direction d’origine américaine pour piloter l’expansion des deux marques québécoises au sud de la frontière. Elizabeth Edmiston a travaillé pour Levi’s, Calvin Klein, Victoria’s Secret, Polo Ralph Lauren et Gap.

> (Re)lisez notre texte sur les ambitions américaines de la nouvelle présidente

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Elizabeth Edmiston

Au Canada, par contre, il est clair que le réseau écopera. Entre 5 et 20 % des magasins fermeront. Pour l’instant, aucune réduction d’effectifs au siège social n’est prévue. Les magasins, de même que le site web, continueront leurs activités normalement pendant le processus.

Dynamite veut aussi « modifier sa structure financière » afin d’être plus efficace dans l’avenir et « élaborer un plan » pour retrouver la santé financière.

Seulement 6 % des baux réglés

Au cours de l’été, le haut dirigeant d’un important propriétaire immobilier nous avait confié qu’Andrew Lutfy avait contacté tous ses bailleurs pour leur réclamer au cours d’une téléconférence des « baisses agressives » et « jamais vu venant d’un locataire de cette taille ». La façon très inhabituelle de faire a surpris.

Le résultat de la démarche semble avoir découragé le principal intéressé. « On a mis un genre de deadline il y a sept semaines. Et à ce jour, on a peut-être résolu 6 % des baux. […] C’est alarmant de voir comment loin on est [d’en avoir réglé 100 %]. »

Le sujet est un peu « délicat », reconnaît Andrew Lutfy, qui est lui-même propriétaire immobilier (il est actionnaire du DIX30 et du futur Royalmount). Mais à son avis, les centres commerciaux sont « certainement déconnectés » de la réalité en ne voulant pas renégocier des ententes conclues quand les ventes en ligne en étaient à leurs balbutiements.

« Ils disent : “Paie ton loyer ou place-toi à l’abri de tes créanciers (file). Si tu dois te placer à l’abri de tes créanciers, c’est ok.” C’est souvent la réponse qui nous revient. »

Le rapport signé Deloitte affirme que Dynamite a été « proactif » pour renégocier ses baux, mais que le processus a été « extrêmement difficile ». « Certains propriétaires ont récemment commencé à bloquer l’accès aux magasins en raison des loyers impayés », apprend-on aussi.

Achalandage : c’est mieux au Québec, mais…

Encore aujourd’hui, des semaines après la réouverture des centres commerciaux, la foule est y plus clairsemée. Au Québec, l’achalandage est de 30 à 35 % inférieur à ce qu’il était à pareille date l’an dernier, précise M. Lutfy. Ailleurs au pays, c’est pire : la baisse est de 40 %. Idem aux États-Unis.

Par contre, les coûts d’exploitation ont « augmenté de 23 % en raison des mesures devant être prises pour la santé et la sécurité des employés et des clients », précise Deloitte.

Quant aux ventes en ligne, elles ont bondi, parfois de 200 %. Or, elles sont bien moins profitables, a fait valoir M. Lutfy, en raison des frais de manutention et d’expédition qui s’élèvent à 10 $ par commande.

Les banquiers de Dynamite sont la Banque Nationale, la Banque de Montréal, la TD et Desjardins. Pendant les procédures de restructuration, Andrew Lutfy fournira lui-même le financement intérimaire. « Je suis le banquier. […] J’ai 100 % confiance dans mes leaders, dans la compagnie, dans notre plan et notre ville. »

Garage et Dynamite existent depuis 1975. Andrew Lutfy y a travaillé comme commis aux stocks en 1982, avant d’être promu président. Il en est devenu l’actionnaire unique en 2002.