En repoussant de manière définitive les avances d’Altice USA et Rogers, la famille Audet vient-elle d’inciter le géant canadien des télécommunications à se départir de ses blocs d’actions dans Cogeco et Cogeco Communications ? Le scénario semble plausible, croient certains analystes.

Rogers détient respectivement 41 % et 33 % des actions subalternes des deux sociétés québécoises — qui sont contrôlées par Gestion Audem grâce à ses actions à droit de vote multiple — par l’entremise d’une participation qu’elle a commencé à bâtir depuis 2000. Pour l’analyste Adam Shine, de la Financière Banque Nationale, l’entreprise torontoise espérait que cette stratégie puisse un jour paver la voie à une transaction.

« C’est une chose d’attendre le bon moment et le bon prix pour conclure une transaction, mais cela en est une autre lorsqu’on se fait dire que ce jour n’arrivera pas de sitôt, et ce, peu importe le prix », a-t-il estimé, dans une note envoyée à ses clients, mardi.

Maher Yaghi, de Desjardins Marchés des capitaux, était également du même avis. Dans un récent rapport, l’analyste estimait que Rogers risquait d’évaluer ses options si elle n’était pas en mesure de finir par mettre la main sur les activités canadiennes de Cogeco.

En vertu de l’offre de 10,3 milliards, Altice USA avait dans sa mire Atlantic Broadband, la division américaine de Cogeco. Elle aurait par la suite cédé à Rogers, pour environ 4,9 milliards, les activités canadiennes de Cogeco et Cogeco Communications.

L’appui de Gestion Audem était essentiel pour que la transaction puisse aller de l’avant, puisque la firme familiale contrôle 69 % des votes chez Cogeco et 82,9 % du côté de Cogeco Communications. On offrait 800 millions à la famille Audet en échange de ses actions à droit de vote multiple.

Lundi après-midi, Louis Audet a voulu remettre les pendules à l’heure en précisant que le refus exprimé la semaine dernière ne constituait « en rien une position de négociation » et qu’il était « définitif ». Mardi, M. Audet n’était pas disponible pour accorder des entrevues, alors qu’Altice USA et Rogers avaient indiqué ne rien avoir d’autre à ajouter.

En baisse

À la Bourse de Toronto, mardi, les actions de Cogeco et Cogeco Communications ont fléchi au lendemain de la déclaration de M. Audet. Le titre de Cogeco a clôturé à 88,21 $, en baisse de 4,74 %, ou 4,39 $, tandis que celui de Cogeco Communications a abandonné 5,53 %, ou 6,25 $, pour terminer à 106,75 $.

Ces niveaux demeurent néanmoins supérieurs aux cours de clôture respectifs — 78,98 $ et 99,27 $ — de mardi dernier, à la veille du dévoilement de la proposition d’achat. On offrait 106,53 $ pour chaque action de Cogeco et 134,22 $ pour chaque titre de Cogeco Communications.

« Cogeco pourrait racheter une partie de la participation de Rogers et le reste pourrait être revendu à des investisseurs institutionnels », a estimé M. Yaghi, en soulignant que la société torontoise pourrait utiliser le produit de cette transaction pour réduire sa dette ou financier de nouveaux investissements.

M. Shine a estimé que le marché pourrait avoir de la difficulté à digérer la vente d’autant d’actions d’un seul coup. Il a noté qu’à la fin du troisième trimestre, Cogeco Communications disposait de liquidités de 494 millions et qu’elle pouvait avoir accès à environ 950 millions en autre financement. L’analyste croit qu’il serait ainsi possible de racheter les quelque 10,7 millions d’actions de Cogeco Communications détenues par Rogers. Les 5,9 millions de titres subalternes de Cogeco appartenant à la société ontarienne pourraient être vendus à d’autres investisseurs québécois, a suggéré M. Shine.

« Si le titre de Cogeco était vendu à 87 $ et celui de Cogeco Communications à 110 $, le produit brut serait d’environ 1,7 milliard et le produit net serait supérieur à 1,5 milliard », a estimé l’analyste.

Des signaux

Ce n’est pas la première fois que la participation de Rogers dans Cogeco et Cogeco Communications fait l’objet de spéculations.

Dans le cadre d’une conférence destinée aux investisseurs, en décembre 2017, le chef de la direction financière de Rogers, Tony Staffieri, avait tenu des propos suggérant que le géant des télécommunications était ouvert à étudier ses options à l’endroit de ses blocs d’actions ainsi que de son club de baseball professionnel, les Blue Jays de Toronto, afin de libérer des capitaux.

En ce qui a trait à l’investissement de la compagnie dans Cogeco et Cogeco Communications, M. Staffieri avait indiqué que les capitaux de la compagnie « pouvaient probablement être mieux utilisés ».