Cinq questions au PDG de la Banque Laurentienne, François Desjardins

La Banque Laurentienne, qui poursuit sa transformation dans un environnement qui s’est complexifié avec la pandémie, vient de réduire son dividende, fait rarissime pour une banque canadienne. Et aucun analyste ne suggère d’acheter son titre. Entretien avec le PDG de la banque, François Desjardins.

Q. Comment vous êtes-vous senti en réalisant ce printemps que vous alliez devoir réduire le dividende pour la première fois dans l’histoire de la banque ?

R. « Ce n’est pas une joie. Mais c’est la bonne chose à faire. La banque célèbre ses 175 ans d’existence. Ce n’est pas en faisant des niaiseries ou en prenant des décisions outre que par prudence qu’on est devenu une des plus vieilles organisations au pays. Mais voyant ce qui se présente devant nous [la COVID-19], c’est important en tant que chef d’entreprise d’agir prudemment lorsqu’il y a de l’incertitude. Réduire le dividende pendant la pandémie pour s’assurer de pouvoir le bonifier quand les résultats augmenteront est une chose prudente. Nous ne sommes pas les seuls à le faire. En Europe, dès le début de la pandémie, les autorités gouvernementales ont demandé aux banques de couper leur dividende au complet. HSBC Canada a aussi coupé son dividende au complet. Et chez les banques de taille moyenne, il y en a (Canadian Western Bank, Home Capital et Equitable Group) qui versent des dividendes beaucoup moins importants que la Laurentienne. »

Q. Est-ce que le doute commence à s’installer dans votre esprit à propos de votre plan de transformation ?

R. « Non. Quand êtes-vous allé dans une succursale pour la dernière fois ? C’est la question que je pose quand on me demande si je suis certain qu’il faut investir dans le numérique et faire tous les changements qu’on apporte. Évidemment, c’est beaucoup d’investissement. Être la plus grande banque au Canada à avoir un nouveau système bancaire l’année prochaine nous donnera un avantage concurrentiel très important. Les autres banques devront le faire. Elles ont toutes des systèmes qui datent de 1960. Chaque fois que quelqu’un fait quelque chose de différent, il y a toujours des critiques. Il faut avoir assez de caractère pour prendre des décisions logiques qui vont amener l’organisation ailleurs. On était toujours derrière les autres auparavant. Aujourd’hui, plein d’entreprises deviennent soudainement « cashless ». J’ai été critiqué quand on a fait ça il y a 18 mois. C’est un avantage pour la banque et nos clients dans un environnement de pandémie d’avoir déjà fait ça. Nous étions déjà habitués. »

Q. La banque rate régulièrement la cible des analystes. D’ailleurs, plus aucun d’entre eux ne recommande l’achat de l’action de la Laurentienne. Pourquoi même les analystes n’arrivent plus à suivre ?

R. « Il n’y a aucune autre banque en transformation de la même façon que la nôtre. Les analystes fonctionnent avec des modèles. Ils regardent ce qui augmente et ce qui diminue chaque trimestre. Malheureusement, en raison des règles, il est interdit de dire aux analystes ce qui va se passer. Je n’ai pas le droit. Je peux dire ce qui vient de se passer. Je peux révéler les grandes stratégies. S’ils se trompent dans leurs évaluations, il n’y a pas grand-chose que je peux faire. J’ai dit dès le départ qu’il y aurait des hauts et des bas. La transformation allait avoir un effet variable sur les résultats. Ils seront plus stables après la transformation. C’est différent lorsqu’on parle avec des investisseurs, car ils ont un horizon à long terme. Mais il y a aussi le fait que dans le secteur financier, si tu fais quelque chose de différent, on se dit par défaut que quelque chose cloche. Alors que dans d’autres secteurs, comme dans les technologies, par exemple, si tu n’es pas en train d’innover, c’est là que des questions sont soulevées. Qu’on le veuille ou non, le secteur bancaire ne peut rester comme il est. Les géants technologiques s’en viennent. Les clients peuvent se tourner vers des banques numériques ou d’autres services parce qu’ils sont moins chers et plus conviviaux. Si on ne s’adapte pas, on va mourir comme les dinosaures. Comme Blockbuster est mort quand Netflix est arrivé. »

Q. La banque vient de réaliser un maigre bénéfice symbolique de 9 millions à son plus récent trimestre. Il s’élevait à 43 millions il y a un an. Il s’en est fallu de peu pour ne plus être rentable. C’est inquiétant, non ?

R. « Pas du tout. La Laurentienne se compare favorablement aux autres banques au niveau de ses pertes sur prêts. Nous devons maintenant prendre des provisions pour l’ensemble des pertes sur prêts que nous allons voir dans le futur. Ça baisse temporairement la rentabilité. Ce fut un grand coup à encaisser au dernier trimestre. Si l’économie ne s’enfonce pas davantage, on devrait voir des résultats meilleurs au niveau des pertes sur prêts au cours des prochains trimestres. Lorsqu’on normalise cette situation, les résultats qu’on vient de dévoiler sont meilleurs que ceux du trimestre précédent. »

Q. Vous êtes passé de 150 succursales il y a quatre ans à 83 aujourd’hui. Il n’en restera qu’une soixantaine à la fin de l’année. Quel sera le nombre optimal au terme de la transformation dans 18 mois ?

R. « Je ne le sais pas. Le nombre optimal qu’on doit viser pour le futur est le nombre de conseillers financiers. Ce sont eux qui font le travail. Une bâtisse avec un toit et une pancarte ne fait absolument rien pour le client. Le service est donné par les gens à l’intérieur. On vient de franchir la barre des 400 conseillers financiers, en hausse d’une cinquantaine depuis l’année dernière, et en hausse d’une centaine depuis le lancement du plan de transformation. Et ça va continuer ainsi. Nous avons moins de lieux physiques, mais de plus grands sites, avec plus de monde sur ces sites. Et on a des conseillers financiers qui techniquement vont voir les clients. Le nombre de succursales devient de moins en moins important dans la vie des gens. On évalue constamment ce qui est mieux, la fin des baux, etc. »