Ceux qui veulent tester la recette de pain dans une cocotte de Ricardo ou redécouvrir la pâte à sel avec leurs enfants se butent à un défi inattendu : trouver de la farine. Alors, imaginez un peu le quotidien de la Meunerie Milanaise, qui tente par tous les moyens de fournir à la demande, qui explose.

« Ça rentre et ça sort aussi vite ! » Voilà comment le propriétaire de la Meunerie Milanaise, Robert Beauchemin, résume ce qui se passe dans le rayon de la farine des supermarchés depuis le début du confinement.

Sa meunerie à Saint-Jean-sur-Richelieu, spécialisée dans les farines biologiques – blé, seigle, épeautre, etc. –, a évidemment accru sa production de façon très importante. La production, « assez automatisée », est passée de cinq à sept jours par semaine, les employés (aux salaires majorés) font plus d’heures.

« On est passés de 80 tonnes par semaine à 300, 350 ou 400 tonnes par semaine, dévoile l’homme d’affaires. Le nombre de vans [semi-remorques] est phénoménal. »

Mais ça ne suffit pas.

Le volume, au détail, ça s’est multiplié par trois ou quatre, et même par sept dans certains marchés. Ils mettent une palette sur le plancher en ouvrant le matin et, à 10 h, c’est vendu. Il y a une mentalité de bunker.

Robert Beauchemin, propriétaire de la Meunerie Milanaise

Un marchand Metro qui n’est pas autorisé à parler aux médias a raconté à La Presse ne plus pouvoir compter uniquement sur les entrepôts de Metro pour s’approvisionner après avoir connu une hausse des ventes de 425 %. La pénurie est trop importante. Il s’est donc trouvé un fournisseur de sacs de 20 kg, qu’il divise lui-même en petits sacs de 2 kg « pour accommoder les clients ».

Le phénomène est pancanadien. Au cours de la semaine terminée le 14 mars, les ventes de farine au pays ont bondi de 208 %. Il s’agit de l’aliment le plus convoité par les consommateurs après le riz (+ 284 %), selon Statistique Canada. Il faut dire que les tutoriels pour faire du pain sur YouTube cartonnent et que les recettes de pâte à modeler pullulent.

Les fournisseurs de sacs « s’arrachent les cheveux »

Aux yeux de Robert Beauchemin, ces statistiques hors du commun cachent une multitude de casse-têtes très concrets.

À commencer par le besoin de petits sacs.

Avant la pandémie, la Meunerie Milanaise vendait des tonnes de farine en gros sacs à des boulangeries (dont Première Moisson), à des restaurants et au secteur institutionnel. Étant donné que beaucoup de ses clients commerciaux sont fermés, une plus grande partie de son volume se dirige désormais vers les supermarchés… qui réclament plutôt de petits sacs de 1 ou 2 kg.

« On est passés de 40 000 à 200 000 sacs par semaine. Les fournisseurs de sacs s’arrachent les cheveux. Le délai de livraison est rendu à 10 semaines. »

Robert Beauchemin évalue que de 35 à 40 % des boulangeries sont fermées.

  • Robert Beauchemin, propriétaire de la Meunerie Milanaise, devant la chaîne d’emballage

    PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

    Robert Beauchemin, propriétaire de la Meunerie Milanaise, devant la chaîne d’emballage

  • Le propriétaire montre les grains à leur arrivée à la meunerie.

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    Le propriétaire montre les grains à leur arrivée à la meunerie.

  • Le boulanger Bouchta Ejjabli fait des pains tous les jours pour tester la farine.

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    Le boulanger Bouchta Ejjabli fait des pains tous les jours pour tester la farine.

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En même temps, il se vend aussi beaucoup plus de pain à l’épicerie puisque les consommateurs mangent moins à l’extérieur de leur domicile. Les ventes de la Meunerie Milanaise au secteur industriel ont ainsi doublé. Des clients appellent le matin pour savoir si « deux vans » de farine pourraient leur être livrées l’après-midi même.

« Même Costco, qui a l’habitude de gérer une chaîne d’approvisionnement rodée au quart de tour, n’a plus aucune référence. Plus rien ne tient. Ça provoque un chaos. Toute la chaîne logistique doit s’adapter. » Ce qui inclut les fabricants de levure, un autre ingrédient des plus difficiles à trouver ces jours-ci.

Heureusement, il ne manque pas de grains à moudre, puisque la récolte de 2018 a été épuisée il y a quelques mois à peine, explique M. Beauchemin. Et les prix sont stables.

« Just in time suicidaire »

Jamais deux sans trois… Cette crise survient après deux autres évènements qui ont mis à l’épreuve la chaîne d’approvisionnement de la Meunerie Milanaise et de ses clients : la grève ferroviaire en décembre et le blocage ferroviaire en février. Une certaine partie des grains utilisés par la meunerie proviennent de la Saskatchewan et du Manitoba.

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Les installations de la Meunerie Milanaise. En temps normal, les silos contiennent « pour trois ou quatre semaines de stocks », raconte M. Beauchemin. Certains jours en ce moment, les grains moulus l’après-midi sont livrés le lendemain.


En temps normal, les silos contiennent « pour trois ou quatre semaines de stocks ». Mais certains jours, raconte M. Beauchemin, les grains « arrivaient le matin, étaient moulus en après-midi et étaient livrés le lendemain. C’est du just in time suicidaire, je dirais ».

L’approvisionnement est heureusement en train de revenir à la normale, se réjouit celui qui baigne dans la farine depuis une quarantaine d’années. Mais pour le reste, c’est « la période d’avant Noël » en plein printemps !